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sur des éléphans. Le prince, ayant lui-même un de ces dociles animaux fort bien dressé à cette chasse qui était sa seule occupation et lui fournissait son principal revenu, avait accepté notre offre avec empressement. Il fut même convenu qu’il me donnerait une place sur son houdah[1]. Nous avions d’ailleurs à notre suite trois éléphans de la compagnie, de sorte qu’en marchant au combat nous devions présenter un appareil assez formidable.

Une catastrophe tout-à-fait imprévue devait contrarier ces beaux projets. Nous revenions un soir, l’avant-veille du jour fixé pour la chasse, tout chargés de butin, nos albums remplis d’esquisses, de notes, d’inscriptions dérobées aux ruines, quand, en arrivant au logis, nous apprîmes que plusieurs de nos domestiques, dont nous avions remarqué depuis quelques jours le peu d’activité, s’étaient couchés fort malades. Nous avions déjà entendu parler de la fièvre de Hampy, car c’est par ce nom que l’on caractérise une fièvre maligne toute spéciale à cette localité ; mais on nous en avait conté des histoires si évidemment exagérées que nous avions fini par n’y plus croire. L’impunité dont nous jouissions depuis notre arrivée contribuait aussi à nous encourager dans une confiance fatale. Comme beaucoup d’Européens, nous voulûmes attribuer l’indisposition de nos gens à la privation d’alimens substantiels et de liqueurs alcooliques. Au lieu donc de profiter de cet avertissement pour nous-mêmes et de nous éloigner au plus vite, nous nous contentâmes d’acheminer les malades vers Bellary, nous proposant de retarder encore notre départ de quelques jours.

Dès le lendemain, cependant, trois de nos camarades se sentirent pris d’un mal de tête insupportable qui amena la fièvre durant la journée et le délire vers la nuit. Nous comprîmes alors qu’il n’y avait pas un moment à perdre pour appeler du secours. La constitution de l’Européen résiste plus long-temps aux miasmes délétères que celle de l’Indou ; mais une fois qu’il est atteint, la maladie marche beaucoup plus vite, en proportion même de la force du tempérament. Il fut convenu que je partirais à l’instant (il était minuit) et que je parcourrais d’une seule traite les quatorze lieues qui nous séparaient du cantonnement. Aussitôt arrivé, je devais expédier un médecin et des palanquins pour toute la société. La vie de tous dépendait peut-être

  1. Espèce de corps de cabriolet qui s’attache au dos de l’éléphant, généralement entouré d’une balustrade en fer avec des anneaux pour appuyer les fusils.