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nouveau, n’en est pas moins parfaitement normal. Dans un gouvernement parlementaire, véritablement parlementaire, il est bon, il est logique que celui des trois pouvoirs qui se renouvelle sans cesse, qui rentre sans cesse dans le sein du pays comme pour s’y retremper à une source toujours féconde, soit précisément celui qui représente le mouvement et la vie, pousse avec plus de passion à la gloire et au bien-être, et remue, en un mot, le plus d’idées, de sentimens et de faits. Il est clair qu’en agissant ainsi, ce pouvoir absorbe une grande part de l’attention publique. Qu’est-ce que cela prouve ? Cela veut-il dire que la moindre prérogative des deux autres pouvoirs en soit atteinte ? Non, certes. Du bruit que peut faire la chambre des députés, de l’attention qu’elle provoque, de l’ascendant qu’elle exerce, la royauté n’a rien à craindre ; si elle y perd un peu de son antique prestige, elle y gagne de la solidité. En s’appuyant sur un parlement très fort, la monarchie, il est vrai, n’est ni absolue ni chevaleresque, mais elle est inébranlable, ce qui est bien quelque chose.

Quant à la pairie, les inquiétudes ne sont pas plus fondées, et elle n’est pas plus menacée que la royauté par les empiètemens de la chambre élective. Il ne faut pas oublier qu’il est de l’essence de cette institution de régler le mouvement plutôt que de le donner. À Dieu ne plaise que nous condamnions la pairie à être simple spectatrice ! Elle doit être plus que cela, elle doit être juge : la pairie est la plus haute des magistratures. On dira qu’elle s’efface peu à peu, qu’elle joue un rôle de plus en plus médiocre. Si cela est vrai, c’est sa faute, non celle de l’autre chambre ; et la meilleure preuve qu’elle laisse, de son plein gré, sommeiller trop souvent ses prérogatives, c’est qu’elle en abuse quelquefois. N’a-t-elle pas un cercueil de plomb toujours ouvert pour ensevelir opiniâtrement cette conversion des rentes qui ressuscite sans cesse ? Qu’on ne crie donc pas à l’usurpation de pouvoir ; rien n’empêche la chambre des pairs d’être ce qu’elle doit être. À elle l’impartialité, la réflexion, le calme dans la force ; à la chambre des députés l’initiative et une animation constante. Cette animation lui est indispensable pour accomplir de bonnes et grandes choses, quoique, dans un autre gouvernement parlementaire qui nous a souvent servi de modèle, cela ne soit pas toujours nécessaire. C’est que, de l’autre côté du détroit, les partis ont une politique de tradition, une politique toute faite, qui n’a pas besoin, pour marcher, d’une impulsion quotidienne ; et encore, dans la chambre des communes, au moindre incident nouveau, la passion s’en mêle : on vient de voir ce qu’a produit le bill de Maynooth. Ailleurs donc, en temps ordinaire, le calme plat peut être fécond ; en France, c’est une agitation modérée qui est la source de tout progrès, et par agitation modérée on doit entendre les profonds sentimens du pays mis en jeu et s’associant à l’intelligence des hommes d’état. Là est notre vie régulière. En dehors de ce mouvement, il peut y avoir bien-être matériel, il n’y a pas amélioration politique, et rien n’est plus triste, même au milieu du développement convenable de l’industrie et des affaires, que de voir la France qui dort à côté de son parlement en