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passages des livres qu’il envoyait à ses créatures ; tant pis que nous n’avons pas de Walpole : il serait bientôt brisé, et la probité prendrait sa revanche.

Au lieu de prendre plus tard sa revanche, que la probité politique prenne dès aujourd’hui ses mesures : cela vaudra mieux. La chambre des députés peut parfaitement se sauver elle-même ; le malade est médecin, et il connaît le remède qui peut le guérir. Ce remède, c’est la proposition de M. de Rémusat, c’est au moins une partie du remède, car il faudrait encore, pour qu’il y eût véritablement guérison, que certains hommes d’état, comme nous disions tout à l’heure, voulussent bien consentir à ne plus s’accrocher avec opiniâtreté à un portefeuille qui échappe, et à ne pas rester majestueusement assis sur un banc de ministre avec une majorité d’une ou deux voix. La moitié plus un n’est pas une majorité constitutionnelle. Avec une chambre ainsi partagée, on vit de transactions, de compromis, d’humiliations quelquefois ; on louvoie, on transige, on ne gouverne point. Quand donc certains hommes d’état comprendront-ils cette vérité si simple, et se soumettront-ils à cette règle élémentaire du gouvernement représentatif ? quand ? Le lendemain du jour où ils n’auront plus de leur côté que la moitié moins un. Ce jour viendra peut-être. En attendant, la corruption mine et contremine, la cupidité se met à l’encan, et la faiblesse se laisse faire, si bien que des vices sans nombre s’introduisent peu à peu dans une institution admirable qui finirait par succomber, si elle était moins forte, et si elle n’était sortie toute vivante des entrailles de la société moderne.

Tel qu’il est, on comprend que ce grand corps peut être l’objet d’études bien curieuses. Qui ne serait aise d’être initié aux mille particularités de son existence ? Eh bien ! voici quelqu’un qui veut nous conduire dans tous les coins et recoins du Palais-Bourbon : c’est un Slave ; mais on sait que les Slaves ont le don des langues et qu’ils se familiarisent vite, malgré leur patriotisme, avec les mœurs de tous les pays. Celui-ci paraît très au courant de ce qui se passe de la salle des Pas-Perdus à la salle des séances et de la bibliothèque à la buvette, et il a été bien inspiré d’entreprendre son Voyage autour de la Chambre des Députés.

Nous ne sommes pas à bout de voyages. Entre le voyage de M. Xavier de Maistre autour de sa chambre, et celui de M. Dumont d’Urville autour du monde, il y a place pour bien des expéditions, petites ou grandes. L’on pourra voyager long-temps encore, sans que la terre vienne à manquer, et sans qu’on soit forcé de tomber dans les redites. Au reste, la question importante pour le voyageur est d’avoir de bons yeux ; tout ce qu’on sait voir est intéressant. Les régions les plus explorées prennent des aspects inattendus et tout, nouveaux, dès qu’un homme d’esprit chevauche à travers leurs chemins battus. C’est une vérité vulgaire qu’on peut courir beaucoup sans rien voir. Combien de gens ont fait le tour du monde sans faire le tour de leur vaisseau ! De même on peut voir beaucoup sans changer de place ; on couperait