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loi de régence, c’est M. Thiers qui lui a donné, par le généreux appui de son éloquence, ce caractère national qui lui eût manqué, si le ministère s’était présenté seul pour la défendre. Un mouvement énergique s’est déclaré depuis peu contre les empiétemens du parti ultramontain ; la France, pleine de respect pour la foi de ses pères, défend les droits de l’état et l’indépendance de l’esprit humain contre les tentatives d’une réaction aveugle : qui dirige ce mouvement ? qui le contient dans de justes bornes ? Est-ce le ministère ? Non. Le ministère recule, et l’opinion le pousse. Sans les voix éloquentes qui retentissent à la tribune, le ministère se croiserait les bras et laisserait tomber dans des mains ennemies la direction morale et intellectuelle du pays. Tournons les regards d’un autre côté. Depuis quelque temps, l’attention de la France se porte vers la marine. Il y a là une pensée patriotique, un noble but. Qui a donné l’éveil ? Est-ce le ministère ? Non. Le signal est parti des degrés du trône, et le ministère, loin d’y applaudir, en a été d’abord consterné. Si depuis il a entrepris des réformes dans la marine, c’est que le parlement les a exigées, et sa marche a été si lente, que la chambre, pour le stimuler, vient de prononcer contre lui, dans la discussion du budget, un arrêt de défiance. Si donc nous finissons par avoir une marine, ce ne sera pas au ministère du 29 octobre que nous la devrons. Ce sera aux chambres, à l’opinion, aux voix influentes de la presse et de la tribune, qui font agir le ministère contre sa volonté. Lorsque le ministère ne prend conseil que de lui-même, il commet des fautes : témoin l’affaire de Taïti, celle du Maroc et beaucoup d’autres. Lorsque le ministère, avant d’agir, essaie de faire triompher ses convictions personnelles, il échoue : témoin la dotation, les ministres d’état, le banc des évêques, le traité de commerce avec l’Angleterre. Mais quand le cabinet se dépouille de sa volonté pour exécuter celle des chambres, il fait des merveilles, il accomplit des prodiges ; c’est alors, il est vrai, que les feuilles ministérielles disent de lui qu’il est un grand ministère. Le compliment est flatteur pour l’opposition.

Nous ne dirons rien cette fois de la chambre des pairs, sinon que sa patience concurrence à se lasser, et qu’elle ne se réunit pas toujours en nombre suffisant pour voter, malgré les recommandations pressantes de son illustre chancelier. Cependant elle a voté dans cette quinzaine plusieurs lois, dont la plus importante est celle des caisses d’épargne. Nous ne reviendrons pas sur ce sujet. Les travaux de la pairie ne seront pas terminés avant le 15 juillet. Néanmoins on annonce le départ prochain de plusieurs ministres, pressés de quitter Paris, et d’aller demander à des climats plus purs ou à des lieux plus paisibles l’oubli de leurs fatigues parlementaires. La chambre des pairs se plaint, dit-on, de ce procédé, qu’elle trouve peu convenable envers l’un des trois pouvoirs de l’état.

Un aperçu rapide de plusieurs questions étrangères prouvera que notre diplomatie a besoin en ce moment d’une direction attentive. Les intérêts de la France peuvent être engagés d’un instant à l’autre dans des complications difficiles.