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pouvaient distinguer, et enfin nous ne sommes pas, ainsi qu’ils l’étaient, juges et partie. Cependant, quand il s’agit non plus d’apprécier la moralité intime des actes, mais simplement d’en reconnaître les traits saillans, on les regarde aussi des yeux de son époque, ce qui peut en dénaturer l’aspect. Maintes fois, alors, c’est un panorama où les objets sont à faux jour, parce qu’on s’est placé hors du point de vue.

Ainsi, les idées religieuses n’étant plus aujourd’hui le mobile des conquêtes, nous sommes enclins à négliger leur influence dans les faits des temps passés ou à l’amoindrir. Nous répétons envers les Espagnols un arrêt que le XVIIIe siècle, en cela inspiré par ses passions, a prononcé contre eux sans que la cause fût suffisamment entendue, et nous tenons pour constant que la soif de l’or fut l’unique ressort de leurs entreprises dans le Nouveau-Monde. Je ne prétends pas que l’amour de la richesse, l’espoir de se créer de grandes fortunes et de grandes existences ait été étranger à ces expéditions merveilleuses : il y a des motifs humains dans toutes les actions des hommes ; mais, à la louange de notre espèce, on peut tenir pour certain que toutes les fois qu’il y a eu un déploiement de qualités héroïques quelque temps soutenues, l’homme a obéi à de nobles inspirations. Il répugne de croire que la cupidité seule puisse engendrer des héros. Dans Cortez et dans ses compagnons, il y avait donc mieux que le désir de s’enrichir ou de se faire une position dans les Indes. Autant vaudrait dire que lorsque la France, en 1789, se leva pour prendre en main la cause de la liberté, l’enthousiasme sublime dont la nation était remplie, et qui lui permit de fournir d’une haleine pendant vingt-cinq ans une si glorieuse carrière, n’était point inspiré par un sentiment profond des droits du genre humain, et que les prodiges dont notre patrie a étonné le monde durant un quart de siècle procédaient simplement d’une sotte vanité de bourgeois jaloux des préséances de la noblesse.

Les monumens de l’histoire sont assez nombreux et assez variés pour qu’on y trouve toutes les lumières désirables. Ils nous font voir que les expéditions des Espagnols dans le Nouveau-Monde furent faites sous les auspices du sentiment religieux. Qu’à ce sentiment s’alliassent des idées d’intérêt et d’ambition, je ne fais aucune difficulté de le reconnaître, car ce n’est rien de plus que d’avouer qu’il y a dans l’homme deux principes, et que notre ame est unie à un corps. Je ne remonterai pas à Colomb, qui part dans l’espoir de rencontrer le Grand-Kan et de le convertir, et qui, lorsqu’il a vu qu’il y avait de l’or dans le Nouveau-Monde, n’en veut aller chercher qu’afin de subvenir aux