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cinquante qu’il avait eu le soin de choisir avant de s’engager dans cette expédition.

C’est au milieu de ces régions lointaines, sur les bords de l’Alach, que le 8 juillet M. de Tchihatcheff observa la célèbre éclipse de soleil qui, à cette même époque, mettait en mouvement tout le monde savant européen. Des observations précises recueillies à une aussi grande distance auraient eu de l’intérêt ; malheureusement un chronomètre, le dernier des instrumens qu’on avait pu préserver jusque-là, s’était brisé la veille dans une chute de cheval. Ce qui servit sans doute à consoler M. de Tchihatcheff, c’est que toute observation eût été impossible : au moment du phénomène, la caravane était assaillie par un ouragan qui lui permit à peine d’entrevoir un instant le soleil en partie éclipsé sous la forme d’un croissant qui disparut bientôt derrière d’épais nuages. On voit que notre voyageur eut à supporter sur les frontières de la Chine un temps très semblable à celui qui, chez nous, fit pousser plus d’un soupir aux astronomes et trompa la curiosité de tant de bons Parisiens.

Pour faire connaissance avec les contrées parcourues par M. de Tchihatcheff, jetons maintenant un coup d’œil sur ces dessins dus au crayon de M. Mayer, son infatigable compagnon de voyage. Tracées sous le contrôle sévère d’un géologue, ces planches ont une importance tout autre que les croquis pittoresques trop souvent donnés comme l’expression de la nature. A eux seuls, ils attestent pour les yeux exercés la nature du sol. En contemplant cet amas de montagnes qui longent le Yeniseï ou entourent le lac Noir (Kara-Kol) et le lac de Kokorgo, en promenant ses regards sur les massifs de l’Oulouhane et du grand Alach, on est tout d’abord frappé de l’uniformité de ces contours adoucis, de ces lignes horizontales et sans vie qui doivent fatiguer la vue du voyageur. A peine les Alpes de Katoune montrent-elles une ou deux fois dans le lointain leurs cimes neigeuses à la coupe hardie et brisée. Cet aspect monotone semble caractériser les montagnes de l’Asie centrale ; car Victor Jacquemont, en parcourant les hautes régions de l’Himalaya, se plaignait aussi de leur uniformité, et regrettait ces magnifiques points de vue qui, dans nos Alpes européennes, frappent le voyageur à chaque pas et lui font oublier ses plus rudes fatigues.

La mollesse des contours de l’Altaï, la monotonie du paysage qui en est la suite, ont pour cause immédiate la nature même des roches qui composent ces montagnes. Les schistes, d’une structure peu solide, s’y trouvent en grande abondance, et entraînent aussi un