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parmi les condamnés. Qu’ils soient conduits en Australie pour un crime ou pour une faute légère, un sort pareil les attend. Cette confusion, contraire aux principes les plus élémentaires de la justice, a pour résultat inévitable de mettre en contact les hommes les plus pervers avec ceux qui n’étaient qu’égarés, de donner aux funestes conseils des premiers une autorité que la loi semble sanctionner d’avance.

Dans quelque catégorie que le déporté russe doive être classé à son arrivée en Sibérie, la loi défend expressément de séparer les mères et les enfans de leurs maris et pères, à moins que les premiers n’aient manifesté officiellement le désir de ne point partager le sort de l’exilé. A Sidney, il n’en est pas ainsi. A peine débarqués, les convicts sont soumis à un véritable triage, et le capitaine Wilkes nous apprend que presque toujours les personnes mariées, données comme ouvriers aux habitans du pays, se voient séparées brusquement. D’ordinaire les enfans à la mamelle sont transportés au dépôt de Paramatta, tandis que les mères, entraînées chez leurs maîtres, les perdent de vue pour des mois, pour des années entières, et souvent pour toujours. Les scènes qui accompagnent ces actes de violence, dit le capitaine Wilkes, sont déchirantes ; on peut comprendre, mais non pas exprimer le désespoir de ces pauvres créatures. Cette conduite est aussi immorale qu’inhumaine. Détruire l’esprit de famille chez des êtres déjà vicieux, n’est-ce pas briser le dernier lien qui les attache à la vertu ? N’est-ce pas les pousser de vive force à lutter contre des lois qui se jouent des plus intimes affections ? Ici surtout, au point de vue de la régénération des convicts comme au point de vue des intérêts matériels des colonies, l’Angleterre, on en conviendra, est bien au-dessous de la Russie.

La classe des exilés colons de la Sibérie comptait, en 1840, 134,630 individus, dont 64,340 étaient établis dans la Sibérie orientale à l’est du Yeniseï, et 70,290 dans la Sibérie occidentale ; 11,000 environ étaient employés au lavage des sables aurifères. Le nombre des exilés incorporés directement dans cette classe a suivi, depuis quelques années, une marche ascendante assez rapide, à en juger par les chiffres suivans : en 1839, la Sibérie reçut 951 exilés colons ; en 1840, 1,184 ; en 1841, 1,482. Cet accroissement tient sans doute aux mesures adoptées par le gouvernement, qui cherche autant que possible à augmenter le nombre de ces colons en y incorporant tous les gens sans aveu et tous les serfs dont les seigneurs demandent l’éloignement. On sait que, dans ce dernier cas, le serf abandonné par son propriétaire