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Il enseignait un amour de Dieu si absolument pur de tout désir du salut, si vide de tous motifs et de toute espérance, qu’il rendait inutiles les deux principaux dogmes du christianisme, la médiation du Christ et les actes. En cet état, l’ame, absorbée dans une contemplation sans fin, devenait indifférente, même à sa condamnation éternelle, pour peu qu’elle la crût dans les vues de Dieu, et y souscrivait avec une sorte de joie ; l’on vit des dévots abandonner tout commandement sur leur corps, et faire hommage à Dieu des désordres de leur vie comme de la plus absolue résignation à ses décrets. C’est ainsi que le fameux Molinos, si long-temps vanté comme un prêtre consommé dans la direction, avait vécu vingt-deux ans dans toutes les ordures, dit Bossuet, et sans se confesser. Il est vraisemblable que pour beaucoup de ces mystiques la doctrine n’était qu’une couverture pour des désordres comme ceux de Molinos ; mais un bon nombre s’efforçaient de bonne foi à réunir en eux la bête et le saint.

Par ce peu que j’ai dit du quiétisme, on devine tout d’abord par quels côtés il dut attirer Fénelon, et inspirer au contraire à Bossuet une répugnance invincible et implacable. Dès leurs premières années, le tour d’esprit de ces grands hommes et la direction de leurs travaux les avaient comme préparés à cette lutte qui tint pendant trois années toute la chrétienté attentive, et qui fut un des plus beaux spectacles littéraires du XVIIe siècle.

Bossuet avait été saisi, dès ses premières études de théologie, de la suite de l’histoire de la religion. Depuis lors, et dans tout le cours de ses travaux, il n’avait pas séparé un moment les promesses divines, telles qu’elles sont enseignées dans les livres saints, de la suite et de la perpétuité de leur exécution, ni la transmission du dogme de la transmission du gouvernement ecclésiastique. Il était né, en quelque sorte, avec la vocation de défendre la tradition catholique. Il avait d’ailleurs peu de goût pour cet autre ordre de traditions, d’origine plus récente, dont se composait la religion secrète et intérieure des parfaits, et il avouait volontiers qu’il n’y était venu que fort tard, et à l’occasion des raffinemens extraordinaires de dévotion qui, dans les derniers temps, s’étaient autorisés de leurs expériences.

Fénelon, non moins attaché que Bossuet au fond de la doctrine catholique, mais né avec un esprit ardent et subtil qu’attirait toute recherche des choses rares et inaccessibles, s’était senti de bonne heure entraîné vers les mystiques. Autorisé d’ailleurs par la tolérance de l’église, qui, dans les choses douteuses ou indifférentes, avait pour maxime de laisser aux esprits la liberté d’opinion, il s’était attaché de