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Châlons, depuis M. de Paris, et M. Tronson, supérieur du séminaire de Saint-Sulpice. Près d’une année y fut employée. Outre les écrits imprimés et les cahiers manuscrits de Mme Guyon, il fallait lire tout ce que Fénelon lui-même écrivait chaque jour sur la matière, soit ardeur de conviction, soit pour détourner sur lui les coups qui menaçaient son amie. Fénelon ne nommait point Mme Guyon ; la nommer, c’eût été avouer l’apologie ; il espérait la sauver à la faveur de quelque proposition générale qui l’eût excusée sur le fond et l’intention, sauf à l’abandonner, s’il le fallait, sur quelques excès de parole ou de plume, bien pardonnables à une femme. Il accompagnait d’ailleurs ses envois de tant de marques de soumission, d’humilité et de déférence, que ses juges, quoique épouvantés parfois de ses éblouissemens, ne pressaient rien, persuadés qu’ils le ramèneraient. Il offrait de tout quitter, même sa place de précepteur, à la seule condition qu’on lui montrât clairement par où il avait péché. Il ne voulait qu’être convaincu, comme s’il était possible de convaincre un homme de bonne foi que trompent ses lumières et sa vertu.

Il fallait pourtant en finir. Bossuet et les deux prélats ses confrères se mirent d’accord sur un certain nombre d’articles qui réglaient toute la matière, et ils en firent un formulaire auquel Fénelon fut invité à souscrire. Il disputa long-temps, faisant des restrictions sur chaque article ; mais, pressé par les prélats, il céda, soit triomphe de la vérité chrétienne, soit l’effet d’un changement de fortune qui l’avait rendu ou indifférent ou plus facile sur des choses de pure spéculation. Ce fut en effet dans l’intervalle, entre la rédaction et la signature de ce formulaire, que Louis XIV appela Fénelon à l’archevêché de Cambrai. Entre sa nomination et sa consécration, cette facilité persista. Bossuet, qui devait être son consécrateur, raconte dans la Relation que, deux jours avant la cérémonie, le nouvel archevêque, à genoux, baisant la main qui devait le sacrer, la prenait à témoin qu’il n’aurait jamais d’autre doctrine que celle de son consécrateur. Fénelon a nié ce fait ; mais son démenti ne peut prévaloir contre Bossuet donnant pour vrai ce qui était si vraisemblable.

Devenu archevêque, Fénelon changea de conduite. Bossuet avait expliqué dans un livre les articles du formulaire[1]. C’était le détail authentique et le résumé de tout ce qui avait été dit dans les conférences d’où ce formulaire était sorti. Ce livre avait été écrit de concert avec les deux prélats, lesquels y donnèrent l’approbation ecclésiastique.

  1. Instructions sur les états d’oraison.