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les dîners du Caveau moderne, qui ne mourut qu’avec lui. Les chansons de Desaugiers, plus rares sous la restauration, furent trop souvent de circonstance : les fêtes du roi, le baptême du duc de Bordeaux, le sacre de Reims, obtenaient de lui sans effort des couplets sincères, mais que la France entière ne répétait pas. En vain dans son Appel aux Français soupirait-il d’un demi-ton de plainte :

Peuple français, la politique
T’a jusqu’ici trop, attristé ;
Rappelle ta légèreté,
Ton antique
Joyeuseté !


Cette gracieuse chanson était comme le chant du cygne de la gaieté en France. La politique gagnait de plus en plus, et, lorsqu’on riait encore avec Desaugiers, ce n’était qu’une trêve. Pourtant les cercles les plus familiers ou les plus brillans le recherchaient et se le disputaient à l’envi ; il continuait d’être le convive le plus indispensable et le plus promis, et l’ame vivante de toute réunion. Si la cause de la gaieté se perdait de plus en plus dans l’ensemble, il lui rendait l’avantage dès qu’il paraissait sur un point, et, comme ces foudres de guerre qui ne meurent qu’en triomphant, il ramenait la victoire partout où il était de sa personne. — Dans les repas de corps de la garde royale, il avait nom l’aumônier du régiment. — Sa maladie, une maladie bien cruelle, la pierre, interrompit à peine les saillies de sa vive et indulgente humeur ; il chansonna son mal comme toute chose, sans amertume et en lui pardonnant ; il fit en riant son épitaphe, sans y croire encore. Cette maladie devint bientôt un évènement pour tous, et sa mort fut un deuil public, car il avait été la joie de beaucoup. Ce jour-là, ce seul jour, le nom de Desaugiers fit couler des pleurs de tristesse, et ils coulèrent en abondance. Il n’avait que cinquante-quatre ans accomplis lorsqu’il mourut (9 août 1827). On trouvera dans la notice de M. Merle, en tête des œuvres[1], et dans celle de M. Creuzé de Lesser (Biographie universelle), l’expression touchante des regrets unanimes. J’ajouterai seulement ici quelques traits puisés en bon lieu, et qui achèveront de dessiner cette physionomie heureuse.

Desaugiers, ce qu’on croirait difficilement à ne le juger que du

  1. J’ai beaucoup emprunté pour tout ce qui précède à cette notice de M. Merle, et je dois de plus à la parfaite obligeance de cet homme d’esprit plus d’un souvenir dont j’ai profité.