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qui ne voulait point le perdre, lui en rend un bel hommage. « S’il n’était pas trompé, écrivait-elle, il pourrait revenir par des raisons d’intérêt. Je le crois prévenu de bonne foi ; il n’y a donc plus d’espérance. » Les bons esprits ne doutaient pas plus de la bonne foi de Fénelon que de l’exactitude de Bossuet. Pour l’innocence de ce dernier, certaines gens en doutaient, disant tout haut que le livre des Maximes eût été orthodoxe, si Fénelon n’avait pas été précepteur du duc de Bourgogne. Voici ce que leur répondait Bossuet : « Quant à ceux qui ne peuvent se persuader que le zèle de défendre la vérité soit pur et sans vue humaine, ni qu’elle soit assez belle pour l’exciter toute seule, ne nous fâchons point contre eux. Ne croyons pas qu’ils nous jugent par une mauvaise volonté, et après tout, comme dit saint Augustin, cessons de nous étonner qu’ils imputent à des hommes des défauts humains[1]. » Aveu d’autant plus noble que Bossuet semble reconnaître comme possible, sinon confesser comme délibéré et volontaire, tout ce qui lui échappa au-delà des droits de la polémique. Ma passion pour la gloire de Bossuet ne va pas jusqu’à nier ce qu’il y eut d’outré dans ses démarches à la cour de Rome, où d’ailleurs il n’était que trop bien servi par son neveu, homme opiniâtre, faisant bien plus les affaires de l’influence temporelle de son oncle que celles de sa foi, mais d’ailleurs d’un talent et d’une fermeté d’esprit nullement méprisables.

Ce sont les amis surtout et les proches qu’il faut accuser de ce qui fut employé d’armes mauvaises dans ce magnifique combat. C’est l’abbé de Chanterac du côté de Fénelon, et l’abbé Bossuet du côté de l’évêque de Meaux, qu’il faut rendre responsables, l’un de ce fonds d’orgueil que Fénelon nourrissait sous cette piété inaccessible, l’autre de la vivacité qui poussa Bossuet, soit à livrer des secrets qu’il aurait dû tenir ensevelis, soit à conseiller les menaces pour arracher au saint-siège une prompte condamnation. Dans les débats des esprits supérieurs, ceux de leurs amis qui ne les peuvent suivre dans cette sphère, où la vérité les domine invinciblement et les détache de toute vue humaine, ne s’intéressent qu’à leurs faiblesses et à leurs arrière-pensées, et pour le profit qu’ils en espèrent tirer ; et il n’arrive que trop souvent, aux jours où l’attrait de la vérité s’affaiblit pour les deux adversaires, qu’excités par des subalternes intéressés ou aveugles, ils laissent arriver dans leur intelligence ces vues humaines qui se mêlent insensiblement aux plus pures lumières.

  1. Relation du quiétisme.