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Il ne faut donc pas s’étonner qu’il y ait eu des fautes commises de part et d’autre, du côté de Bossuet par emportement, du côté de Fénelon par cette habileté qui fut si prodigieuse qu’elle fit mettre en doute sa sincérité, et que la magnanimité même de sa soumission après le bref du pape fut interprétée comme l’action d’un habile homme. C’est encore le grand Leibnitz qui en juge ainsi. « M. l’archevêque de Cambrai, écrit-il, s’est mieux tiré d’affaire qu’il n’y était entré. Il en est sorti en habile homme, et il y était entré sans penser aux suites qu’elle pouvait avoir. » Ce jugement est celui d’un homme de génie qui ne voyait pas de loin et d’en bas, comme la foule, la conduite de Fénelon avec l’illusion de la distance ; il la voyait de près, et pour ainsi dire de plain pied, par cette connaissance qu’ont de leurs égaux les hommes supérieurs. Il apercevait le calcul jusque dans la soumission, et ce fameux mandement par lequel Fénelon faisait connaître à ses diocésains la condamnation dont l’avait frappé le saint-siège, Leibnitz n’y voyait que l’acte d’un habile homme.

Dix ans plus tard, dans une lettre au père Letellier, confesseur de Louis XIV, qui pensait à le remettre en grace auprès du roi, Fénelon prouvait combien Leibnitz avait vu juste. Parlant de sa condamnation et de la doctrine qui avait triomphé, il dit : « Celui qui errait a prévalu ; celui qui était exempt d’erreur a été écrasé. » Il est vrai qu’il ajoute, comme pour ne pas démentir le fameux mandement de soumission : « Dieu soit béni, je ne compte pour rien non-seulement mon livre, que j’ai sacrifié à jamais avec joie et docilité à l’autorité du saint-siège, mais encore ma personne et ma réputation. » C’est toujours, et jusqu’à la fin, l’homme et le rôle, et une admirable vertu qui en purifie et en rend aimable la contradiction.

Le combat de ces deux grands prélats est un des plus beaux souvenirs de l’histoire de notre littérature. Chacun y déploya, outre les qualités propres à son génie, les qualités de sa cause ; mais la supériorité fut pour celui qui défendait la bonne. Le fameux livre des Maximes des saints, d’où naquit le scandale, parut avant les États d’Oraison de Bossuet. Ce livre n’est qu’un recueil de propositions et de formules, le plus souvent inintelligibles même pour le temps. « Je ne puis, disait M. Tronson, esprit profond et grave théologien, je ne puis qu’estimer ce que j’y entends et admirer ce que je n’y entends pas. » Un style sec, quoique précis et facile, point d’onction, rien pour le cœur, des axiomes d’une théologie sans date et sans tradition, une piété qui ne prie ni n’espère, et d’ailleurs aucune des qualités