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Je le signerai, je l’eusse signé, je suis prêt à le signer de mon sang. Qu’y a-t-il donc à signer du sang d’un archevêque ? Est-ce quelque vérité universelle ? Est-ce un de ces dogmes d’où dépend toute la foi ? Nullement ; c’est quelque définition du quatrième ou du cinquième amour, une chimère, une subtilité dont son imagination a fait un dogme. On ne risque pas de rencontrer ces violences de paroles chez le défenseur de l’universel ; loin qu’il tombe dans l’excès d’engager son sang, il ne daigne pas prendre acte de l’offre que Fénelon fait du sien.

Au reste, la victoire éclatante de Bossuet n’ôta pas à Fénelon ce à quoi il tenait peut-être le plus, la faveur de la personne. Le saint-siège même, en le frappant, laissa voir qu’il avait été sensible à ce grand art de plaire, que relevait une vertu admirable ; et si l’évêque de Meaux resta maître des intelligences, l’archevêque de Cambrai resta maître des imaginations.

La défaite de Fénelon fit cesser des écrits où la belle langue du XVIIe siècle recevait de si graves dommages de cette spiritualité outrée qui la chargeait de vains mots et altérait sa pureté. En discréditant la fausse subtilité dans les matières de théologie, Bossuet la fit mépriser dans toute espèce d’écrits, et il fortifia le penchant de l’esprit français à n’admettre et à n’estimer que ce qui est simple et vrai. Ce fut peut-être le fruit le plus réel de sa victoire, car je doute que le quiétisme se fût établi en France, et que la victoire des visionnaires du pur amour eût propagé les excès de Molinos dans un pays où le ridicule n’aurait pas eu besoin des bulles du pape pour détruire un parti de cyniques de dévotion.


NISARD.