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duchesse, la cour de Zelle, où s’élevait cette belle personne, respirait la décence et le bon goût.

Il y avait autre chose à dire du palais épiscopal d’Osnabrück, qui se divisait en deux parties, l’une livrée aux travaux scientifiques et aux discussions théologiques de Sophie, qui « n’avait pas de plus grand plaisir, dit un historien, que de mettre aux prises un catholique et un protestant, et de les exciter pour se moquer de tous les deux ; » l’autre retentissant du bruit des instrumens qu’on accordait, des meutes qui rentraient au chenil, des chevaux qui piaffaient en hennissant, et de l’attirail d’une vie de prince féodal renfermée dans l’espace étroit d’une forteresse. Ernest-Auguste avait alors cinquante ans, une énorme corpulence et mille prétentions. « On le voyait, dit un contemporain, endosser une cuirasse le matin pour passer en revue ses troupes, rentrer pour présider à la répétition d’un opéra, accorder une heure aux alchimistes, qui le prenaient pour dupe, monter à cheval, chasser pendant trois heures, et terminer sa journée par la représentation solennelle d’un ballet, où il figurait comme son prototype Louis XIV, sous la forme d’Apollon, environné de nymphes qui l’adoraient. » On peut juger si les agens d’intrigues et les femmes d’aventures avaient prise sur un tel homme, plongé dans ses nuages d’orgueil, de lubricité et d’ambition, et offusqué d’avance par ses prétentions et ses espérances.

On s’amusait dans cette petite cour, dont les divertissemens n’étaient pas toujours d’un goût pur, bien que la mythologie grecque en fit les frais, et que les arrangeurs du prince eussent soin de les calquer sur ceux de Benserade et de Quinault. Le 19 mai 1673, par exemple, l’armée du prince-évêque était sous les armes, ses trabans en grand costume, ses conseillers auliques en bas de soie rouge, et sa forteresse en mouvement dès le matin, pendant que le pont-levis s’abaissait pour livrer passage à Diane et à Bellone, montées sur deux superbes palefrois, et allant au-devant des deux fils de l’évêque, George et Maximilien, qui revenaient chez leur père. La paisible et savante Sophie les suivait dans son carrosse, sans s’embarrasser d’autre chose que de causer avec le grand Leibnitz, auquel elle proposait de nouveaux doutes sur le système des mondes et la prescience de Dieu. L’évêque était noblement resté dans sa citadelle, comme il convenait à un potentat, et particulièrement occupé des ornemens et des décorations de la salle, autrefois une chapelle catholique, où le soir même un opéra nouveau devait être exécuté. Diane et Bellone avaient préparé cet opéra ; c’étaient deux beautés « mal