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le précipitait dans cette affaire comme dans une partie de plaisir. Nous venons de traverser le boudoir et la comédie ; le burlesque et la licence vont disparaître ; après Scarron et Crébillon fils, voici le drame.

Un soir, Koenigsmark trouve sur sa table un fragment de papier blanc portant ces mots tracés au crayon d’une main tremblante : Ce soir, après huit heures, la princesse Sophie-Dorothée attendra le comte Kœnigsmark. L’écriture était incertaine, et l’heure du rendez-vous indue. Il ne réfléchit pas, ce n’était guère sa coutume, se rend au palais, et excuse, en présentant le billet, sa présence inattendue et insolite ; la princesse, que tout cela étonnait, donne l’ordre de le faire entrer. Pendant que ces choses se passaient, Élisabeth Platen, qui avait ses grandes entrées chez l’électeur, se rendait près de lui, dénonçait le rendez-vous qu’elle-même avait préparé en corrompant un domestique de Koenigsmark, qui avait déposé le billet prétendu de la princesse sur la table du jeune homme, et obtenait l’ordre de faire fermer à l’instant toutes les issues du palais, et de s’emparer de Koenigsmark. Cette arrestation du colonel des gardes offrait quelques difficultés ; la comtesse les leva : il ne s’agissait que de placer quatre trabans déterminés sous ses ordres, de leur commander une obéissance absolue à la comtesse, et de lui laisser le soin du reste. Cela dit, l’électeur s’enveloppa de sa robe de chambre et n’y pensa plus. Élisabeth, suivie de ses trabans, les mena dans une salle antique nommée la salle des chevaliers, leur apporta un vaste bol de punch qu’elle prépara de ses mains, les plaça en embuscade dans la cheminée gigantesque de la salle, et leur dit ce dont il s’agissait. Elle, postée derrière la tapisserie qui séparait cette salle d’une galerie voisine, attendit le passage de Koenigsmark. Le comte se fit attendre long-temps. Mlle de Knesebeck et la princesse le retinrent plus de trois heures, sans s’occuper trop de la singularité de l’entrevue, du billet supposé, de l’auteur de ce billet, et des conséquences possibles ; on causa beaucoup de toutes choses et des préparatifs du départ. De sa vie, le jeune Kœnigsmark n’avait été plus brillant. Au lieu de se livrer aux plaintes élégiaques des amans qui vont se quitter, il suivait son caractère, s’abandonnait à une joie folle, imitait la comtesse Platen dans ses transports de jalousie, se mettait à genoux comme elle devant un Kœnigsmark figuré par une petite poupée française, simulait les angoisses de cette coquetterie dédaignée, la représentait dansant la pavane à l’antique avec l’électeur-évêque, et mêlait à ces gaietés tant de récits originaux et d’anecdotes piquantes, que