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les heures s’écoulaient inaperçues au milieu des rires de Mlle de Knesebeck et de Sophie-Dorothée.

Je défie un auteur dramatique doué d’expérience ou de génie de mieux disposer la scène. Sous la grande cheminée gothique, les quatre trabans hongrois se tapissent, le cimeterre nu et protégés par les lourdes sculptures de ces faunes qui, soutenant leurs corbeilles de fleurs, s’enlacent à de jeunes nymphes. Le bol de punch flamboie sur la table de pierre ; une tapisserie qui se soulève laisse voir le front pâle et l’œil ardent d’Élisabeth Platen. Cependant la porte de l’appartement de Sophie-Dorothée se ferme dans l’autre aile du bâtiment, et la jeune femme, après avoir embrassé ses enfans endormis, fait admirer ses bijoux à Mlle de Knesebeck, en riant des bons contes de Koenigsmark. Alors on entend des pas incertains à travers les longues salles ; le jeune homme a trouvé toutes les issues fermées, et la grande horloge sonne maintenant onze heures. Il s’étonne, puis se rappelle qu’une porte qui donne sur les jardins reste toujours ouverte ; de galerie en galerie, il se dirige dans l’obscurité vers ce point où la flamme du punch s’annonce à lui par une lueur bleue. La scène tragique a été racontée sous forme de drame par la princesse, et c’est à elle seule qu’il appartient de la reproduire. Kœnigsmark s’approche et voit les quatre hommes qui s’élancent, les quatre cimeterres qui brillent.


KOENIGSMARK[1]. — Trahison ! trahison !
LA COMTESSE PLATEN, entr’ouvrant la porte. — Ne le laissez pas tirer son épée. Coupez-lui la retraite. Bien. Frappez ! Qu’on le jette par terre et qu’on lui lie les mains.
KOENIGSMARK, renversé. — Épargnez la princesse ; elle est innocente !
LA COMTESSE. — Ne l’écoutez pas. C’est un criminel. Exécutez les ordres de l’électeur ! Bien ! Ne le quittez pas ! ne le lâchez pas ! Bâillonnez-le ; frappez s’il le faut, et qu’on lui attache solidement les pieds et les mains ! A la bonne heure ; il est à nous.
KOENIGSMARK. — La princesse est innocente !
LA COMTESSE. — Liez mieux ses mains. Maintenant, qu’on le prenne et qu’on l’emporte.
(Les quatre trabans soulèvent Koenigsmark, dont le sang coule en abondance. Ils essaient en vain de le faire tenir debout. Il s’évanouit.)
LA COMTESSE. — Déposez-le par terre. Bien ! Dénouez le mouchoir qui le bâillonne. (Elle emploie ce mouchoir à bander les plaies de sa tête et le regarde attentivement.) Maintenant, traître, confesse ton crime et celui de la princesse !

  1. Diary, etc. — The assassination, p. 232.