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les pelouses, il vous semble reconnaître en eux quelque chose de l’air et des traits de l’aïeul adolescent. Ainsi, dans ces physionomies romantiques qui se détachent, non sans charme, sur le fond du tableau contemporain, je crois surprendre un peu du son de voix et du profil de Novalis. Pour ceux-là, nous l’avouons, les évènemens n’ont pas marché ; il s’agit bien, en vérité, de tendances industrielles et de libéralisme ! que leur importe l’ère constitutionnelle qui date de juillet ? Parlez-leur de la source vive au fond du bois et du monde merveilleux qui l’habite, parlez-leur des rapports de l’esprit avec la nature, de cette harmonie élémentaire que le christianisme a rompue. Le poète donne à la nature un œil spirituel pour qu’elle voie, il lui donne une bouche pour qu’elle parle, il remet l’être humain en communauté avec le soleil et la terre, avec les plantes et les bois, et souffle en nous ce sentiment d’épouvante sacrée que l’aspect du beau inspire au sage de Platon.

Que de nuances dans le romantisme ! M. Édouard Moerike est romantique et M. Heine aussi. M. Heine, si je ne me trompe, débuta au déclin de la période et vit éclore sa poésie aux derniers rayons du soleil d’Arnim et des Schlegel. Quoi qu’il fasse pour renier cette origine, l’auteur des Reisebilder en subira l’influence jusqu’à son dernier jour. Romantique défroqué, dira-t-on ; oui, sans doute, mais heureusement pour lui l’instinct originaire a persisté. Même en ses écrits d’aujourd’hui, il n’est point rare de trouver çà et là maint passage qui ne respire que fantaisie et graces naïves ; peu s’en faut que vous ne le preniez alors pour un modèle de simplicité, pour un cœur d’enfant, tant il a l’air de croire à l’existence de ces elfes et de ces kobolds, de ces nixes et de ces fées dont il conte les histoires avec un si délicieux abandon. D’ordinaire l’illusion ne se prolonge guère au-delà d’un paragraphe ; au détour du feuillet, vous rencontrez le faune qui ricane ; là même, selon nous, est la principale originalité de M. Heine. Dans la phalange romantique proprement dite, M. Heine n’eût jamais figuré au premier rang. Pour l’imagination et les idées, Arnim, Novalis, Bettina elle-même, garderont toujours sur lui une incomparable supériorité. La grande habileté de l’auteur des Reisebilder est d’avoir su se faire un romantisme à part, une sorte de romantisme critique dont mieux que tout autre il possède le secret en Allemagne. Mêler l’élément naïf de la poésie du moyen-âge à l’élément négatif des sociétés modernes, manipuler du soir au matin les principes les plus contraires, mêler Arnim à Byron, Novalis à Mme Sand, prendre même quand on peut un aiguillon à Voltaire, tel est, j’imagine, le