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d’ailleurs si divers. Ce sont des philosophes, et aucun d’eux ne connaît les conditions essentielles de l’existence et des progrès d’une philosophie. Ce fils de Platon adorent Mithra ; ces libres penseurs croient aux miracles, qui dis-je ? ils en prétendent faire, unissant ainsi en une détestable alliance l’imposture et la crédulité. Que le mystique Plotin communie avec l’Un, c’est là une extravagance tempérée par une sorte de sublime exaltation ; mais que penser de Porphyre qui chasse des bains publics un démon nommé Causathan, et nous assure avec gravité qu’on peut acquérir l’esprit prophétique en mangeant le foie de certains animaux ? Que dire de Jamblique, à qui il sut de toucher de la main l’eau des bains de Gadara, devant la foule de ses disciples, pour que deux beaux enfans, Éros et Antéros, sortent de la source viennent entourer de leurs bras l’homme puissant ou plutôt le Dieu qui les a évoqués ? Que dire surtout de Julien, stoïcien rigide et adorateur de Vénus, philosophe éclectique et persécuteur des chrétiens, contempteur des superstitions païennes, et dont les mains sont toujours teintes du sang des hécatombes immolées ? Quand il contraint ses soldats, par une ruse indigne de lui, de sacrifier aux dieux, quand lui-même, dans les temples, entouré d’une foule curieuse de femmes et d’enfans, porte le bois pour les sacrifices, attise le feu, plonge le couteau dans les entrailles de la victime, les interroge d’un œil avide, et fait dépendre le salut de l’empire de ces ridicules cérémonies : dans ce persécuteur, dans ce tyran, dans cet initié, peut-on reconnaître un philosophe ? Du reste, dans l’école d’Alexandrie, nul n’échappe à la triste et commune loi ; Proclus lui-même, cet analyste pénétrant, cet inépuisable érudit, ce subtil et ferme génie qui a rappelé Aristote, Proclus ne garde pas plus que ses devanciers le caractère d’un philosophe vraiment digne de ce nom. A l’exemple de Porphyre, qui s’appelait le prêtre du Père, il prend le titre chimérique autant qu’ambitieux d’hiérophante de tous les cultes, et à ce titre il fait des miracles, prédit l’avenir, évoque les génies. La nature écoute sa voix, les vents se déchaînent à son gré, et les tremblemens de terre s’arrêtent à un signe de sa main. Ces déplorables faiblesses d’hommes de génie jettent un jour profond sur l’esprit du temps. Tout se dissout alors, tout se corrompt et se déprave, la philosophie comme les autres élémens de l’ancienne civilisation ; le sol grec et romain appartient désormais à des races nouvelles : l’esprit et l’avenir sont au christianisme.

Arrivé au terme de son ouvrage, M. Jules Simon résume dans une conclusion étendue ses vues les plus générales, et, pour les mieux établir, il répond aux objections que son premier volume avait suscitées. La critique n’a point à regretter d’avoir provoqué ces éclaircissemens nécessaires, toujours spécieux d’ailleurs et quelquefois éloquens. En défendant ses vues, qui paraissent toutefois encore trop ou trop peu alexandrines, comme on voudra, sur l’impuissance de la raison à atteindre la nature de Dieu, M. Jules Simon a écrit quelques-unes de ses plus belles pages, et l’on trouve dans toute cette conclusion, avec la clarté et l’élégance habituelles de son style, un heureux surcroît de précision et de vigueur.