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symbolique des animaux, la musique mondiale, la même musique observée dans le corps de l’homme, l’aimantation de l’univers, les sympathies et les antipathies, l’éternelle analogie du microcosme et du macrocosme, la vie, les amours des astres, les influences sidérales, le rhythme du nombre, bref tous les principes de Fourier, y compris le dédain absolu de toutes les limites de la science descriptive, se trouvent déjà chez les magiciens du moyen-âge. Quant aux procédés, ils sont encore les mêmes. Que l’on prenne Robert Fludd, le dernier rapsode des sciences occultes : comme Fourier, il arrête son thème d’avance, il cherche la rédemption par la force du nombre, et quand il l’a obtenue à priori, les possibilités les plus abstraites de l’expérience, c’est-à-dire la possibilité de disposer des mirages et des fluides impondérables, de transpercer la surface opaque des corps, de se déplacer avec la rapidité de la foudre, de se rendre invisible, etc., tous les rêves enfin se réalisent. Fludd a son instrument comme Fourier, comme Paracelse, comme tous les alchimistes ; il a son secret à lui qui révèle tous les secrets.

Une seule différence sépare Fourier de ses contemporains du moyen-âge ceux-ci croyaient, non pas à la philosophie, mais à la tradition matérielle du christianisme. Fourier est incrédule, et son incrédulité le rejette au-delà du moyen-âge. Si la magie était une renaissance du paganisme, une réminiscence de la sagesse de ces pontifes de l’antiquité qui se croyaient les artistes de la création, ce n’était cependant qu’une renaissance maladive, faussée, complètement transformée par le christianisme. La magie prenait la forme du catholicisme, elle n’aspirait très souvent qu’à propager par enchantement le pouvoir de l’église, elle plaçait ses secrets sous la garde des vertus chrétiennes. Cherchait-elle un bonheur impossible sur la terre, la rédemption était assurée par la foi, les miracles étaient prouvés par les légendes ; elle voulait bien conquérir l’ubiquité, la vision de l’univers, mais c’était au Christ d’achever l’enchantement par je ne sais quelle purification éthérée. Elle voulait bien escalader le ciel, mais elle n’avait pas à le construire ; le paradis existait, il ne s’agissait que d’y monter. Fourier est libre, il est seul ; le génie positif des temps modernes le poursuit toujours, et c’est dans le plaisir qu’il doit trouver la rédemption, c’est dans le monde qu’il doit construire le ciel. De là toutes les terribles nécessités de son système, dont la première est d’arracher au Christ sa couronne d’épines en déclarant le devoir impie, et dont la dernière est de se retrouver au point de départ. Ainsi, en se révoltant contre la révolution, il tombait dans le sensualisme du XVIIIe siècle ; en voulant dépasser les limites de la science descriptive, il tombait dans la magie, du moyen-âge ; en se délivrant du christianisme, il tombait au milieu de l’antiquité païenne. Suivant lui, le phalanstère aurait dû être construit à l’âge de Périclès. Nous sommes en retard, nous marchons au rebours depuis 2300 ans.

Fourier méconnaît entièrement le travail accompli par la raison depuis Socrate jusqu’à Hegel. Il prétend avoir élevé la critique de la civilisation au rang d’une science : il n’a regardé la civilisation qu’avec les yeux du corps.