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Il ne faut pas s’y tromper, c’était l’excès ou plutôt l’oisiveté des forces révolutionnaires qui favorisait le fouriérisme ; M. Jules Lechevalier quittait les saint-simoniens pour diriger le premier mouvement de la secte. Le fouriérisme, ne pouvait donc se propager sans se modifier, et la propagande était déjà pour lui une phase toute nouvelle. Le magicien, à la rigueur, n’avait pas de politique, rien de commun entre lui et le reste des hommes. Le Phalanstère adopta l’histoire de France depuis 1789, on adopta même toute l’histoire de l’humanité, comme la préface naturelle du fouriérisme. M. Jules Lechevalier, qui dictait cette énorme concession faite à la faiblesse des hommes, en profita avec adresse pour entraîner les débris du saint-simonisme en déroute. Que voulaient les saint-simoniens ? La réhabilitation des masses en politique, la réhabilitation de la chair en morale et en religion. M. Jules Lechevalier accepta ces prémisses, demanda à ses anciens confrères les conséquences qu’elles renfermaient, et d’idée en idée il les poussa à la dernière conclusion du fouriérisme. — Le principe est juste, disait-il, il faut réhabiliter l’amour, l’instinct, le travail, le talent, toute la nature humaine ; mais pourquoi fonder une papauté ? pourquoi copier le moyen-âge, mettre le plaisir en procession, le travail en religion ? Loin d’arrêter, loin de contredire le saint-simonisme, il faut le doubler, et ici l’industrie attrayante et l’enchantement du phalanstère viennent achever la rédemption entreprise par Saint-Simon. Au moins le fouriérisme évite les gendarmes.

En présence du parti républicain, la tactique changea : les initiés ne tenaient aucun compte des principes ; ils réduisirent donc la question révolutionnaire à une question de finance. Dès-lors, qu’était la république ? La suppression de la liste civile. Qu’importaient, grand Dieu ! quelques centimes de plus ou de moins à des hommes qui rêvaient un avenir pantagruélique ? Même dédain pour toutes les réformes administratives proposées par la démocratie, même horreur pour les réformes politiques, parce qu’elles amenaient le désastre matériel de la guerre. On justifiait ainsi la révolution dans le passé, on l’accusait dans l’avenir ; on la repoussait dans les idées, on la voulait dans l’industrie. Quand cette contradiction éclatait, la Réforme industrielle aux abois biaisait, louvoyait, courait des bordées. Sans l’accepter, sans la repousser, M. Jules Lechevalier en concluait que le fouriérisme travaillait dos à dos avec les démolisseurs. — Depuis trois siècles, disait-il, la religion, la politique, l’industrie, la famille, tout s’écroule ; désormais on est arrivé à l’anarchie la plus profonde ; le dernier mot de l’économie politique formule cette anarchie ; on laisse faire la banqueroute, l’agiotage, la féodalité industrielle, le commerce menteur. Maintenant il faut reprendre le travail au rebours : les démolisseurs commencent par attaquer la religion pour organiser le travail, nous organisons le travail pour refaire la société ; les démolisseurs marchent de la réforme sociale à la réforme industrielle, nous partons de la réforme industrielle pour arriver à la réforme sociale. Pour organiser un village, ils veulent s’emparer d’un empire. Nous ne demandons que l’essai d’une colonie pour régénérer le monde sacs émeute, sans guerre,