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couardise philosophique (par respect pour le commerce). Il avait épousé la timidité politique des Français ; lui qui avait su créer une fabrique de rois n’osa pas créer une fabrique de chapeaux rouges. L’éducation française a causé sa perte, elle a fait de lui un despote, un esprit faussé, un avorton en tout autre emploi que la guerre. » Non, le magicien ne cède pas comme l’empereur, il ne cède pas aux poltrons scientifiques, aux Français asservis aux superstitions académiques. Qu’on tremble, qu’on crie, qu’on se moque de lui ; il continue sa route, il vit de la vie des harmoniens, il tourne sans cesse le kaléidoscope de la musique mondiale, il voit l’homme qui acquiert la vue du coq et contemple le soleil, il voit les nègres de l’Afrique blanchis ; la nature prend la parole ; le chat, le singe, le choux-fleur, persiflent les civilisés. C’est en vain qu’on veut calmer sa fièvre, on le supplie de supprimer son monologue, d’ajourner sa cosmogonie, on le prie de ne pas soulever autour de lui ce rire olympien qui le tue. « Je ne ferai pas de basses concessions, dit-il ; je cède quelque chose à la petitesse de mon siècle, mais rien de trop. Parlant à des pygmées, à des lilliputiens, je veux bien me rabaisser un peu à leur niveau en admettant, s’ils l’exigent, que mes théories d’analogie et de cosmogonie sont de jolis romans ; mais je prends date, je fais acte de possession de ces prétendus romans qui seront bientôt de sublimes vérités, et dont on regrettera amèrement de n’avoir pas favorisé le public. Il en coûtera bien des efforts pour trouver après moi ce qu’on aurait pu obtenir de moi. »

Tout s’écroulait autour de Fourier, le phalanstère, l’école, le journal même par un suprême effort, le magicien concentra toute sa puissance sur le dernier numéro de la Réforme industrielle, et Fourier remporta sa dernière victoire en éblouissant le public avec l’immense féerie de la Fausse Industrie[1]. Dans ces pages, qui sont comme le testament de Fourier, éclate le paroxisme de sa fureur apocalyptique. Le célèbre puff américain des découvertes de Herschell sur le monde de la lune avait fait espérer à Fourier la vision directe du phalanstère dans les planètes : un moment le magicien se crut sauvé ; quand le puff fut démasqué, les civilisés éclatèrent de rire comme d’habitude ; il y avait là une méprise à décontenancer Bouddha et ses douze apôtres. Voici la réponse de Fourier : « Le puff américain, dit-il prouve 1° l’anarchie de la presse ; 2° la stérilité des conteurs extramondains ; 3° l’ignorance des coques atmosphériques ; 4° le besoin d’un mégasco-télescope. » Il attendait, ajoute-t-il, cette découverte de Herschell, puisque cet astronome pouvait faire accepter ses inventions par les civilisés. Pour lui, il se trouve enveloppé, réduit au néant par les entraves du faux savoir. Fourier les dénombre ; ce sont la métaphysique, la politique, la morale, l'économisme, les tartufes, les charlatans, la méfiance, la crédulité du public, le journalisme, les vices du caractère français, l’anglomanie, l’extéromanie, le

  1. L’article destiné au dernier numéro de la Réforme devint sous ce titre un ouvrage en deux volumes, publié en 1835.