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ses yeux, la nature était déjà transfigurée. Le magicien s’éteignit, profondément convaincu qu’il allait jouir des délices de la vie aromale. Si la perversité des hommes lui avait arraché sa couronne d’omniarche, il avait la certitude absolue que des myriades d’astres entravés dans leur marche ascendante par les miasmes de la civilisation allaient revenir sur leurs pas pour forcer la race humaine à rentrer dans le nombre de l’harmonie universelle.

A la mort de Fourier, la Phalange déclara qu’elle garderait le deuil jusqu’aux jours de l’harmonie ; le corps du magicien fut inhumé provisoirement dans un cimetière de la civilisation, en attendant le moment où il devait être transporté dans la capitale du globe et déposé dans un monument qui aurait surpassé tous les monumens de la terre. On commenta toutes les notices publiées à l’occasion de la mort de Fourier ; on vit dans les sympathies des journaux un signe évident du repentir de cette civilisation si cruelle dans son indifférence. Les sages, moitié heureux, moitié troublés, s’empressèrent de retourner à leur enseignement, et reproduisirent dans la Phalange leurs propres ouvrages. Il fut même question, je crois, d’un phalanstère en miniature.

La Phalange fut suspendue, et les sages comprirent enfin les dangers de l’orthodoxie. Désormais le dieu n’était plus là pour contrôler, le pontife pouvait agir ; M. Considérant se mit à l’œuvre, il y eut revirement, et on cingla rapidement vers les régions lointaines du sens commun. La Phalange reparut sans prendre le deuil, le phalanstère était enterré dans les cartons de deux architectes, on ne parla presque plus de l’industrie attrayante, on organisa l’enseignement des profanes ; les sages gardèrent pour eux-mêmes le secret de la véritable sagesse. Comme premier degré d’initiation, la Phalange demandait (qui pourrait le croire ?) que les civilisés se délivrassent de l’esclavage des principes pour s’associer, abstraction faite de toutes les idées. Les partis, disaient les sages de la Phalange, luttent-ils pour leurs intérêts : tous ont raison, les républicains, les légitimistes comme le juste-milieu ; les intérêts (en d’autres termes l’égoïsme) sont sacrés. Les partis luttent-ils pour les principes : tous sont dans l’erreur ; il faut s’embrasser. Voilà le programme de la Phalange. Elle prétendait ne pas croire ; la foi des civilisés l’irritait, l’égayait ; le feuilleton était consacré au compte rendu de la comédie parlementaire, quand on ne vouait pas à une sainte indignation ce ramassis de contradictions grecques, romaines, anglaises, américaines, qui conduisent les peuples au carnage. Jusque-là on attaquait tout le monde, on élevait partout des barrières, et le fouriérisme ne pouvait trouver aucune issue en civilisation. A l’époque de la coalition, M. Considérant s’en aperçut ; dès lors il personnifia dans M. Thiers le parti du mouvement, dans M. Guizot le parti de la résistance ; il reproduisit contre les deux chefs de la coalition toutes les diatribes déjà lancées par Fourier contre les démocrates et les conservateurs. Le chef de l’église, le disciple du magicien, avait pris rang parmi les conservateurs excentriques. Le préfet du Haut-Rhin appuya sa candidature. M. Considérant ne fut pas élu, mais le phalanstère se crut dès-lors