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quelques professeurs, quand il intimidait les autres, la Phalange défendait l’Université. Impartiale et désintéressée cette fois, elle signalait nettement la mauvaise tendance du gouvernement et l’impudence des journaux religieux. Se présentait-il une question administrative, la Phalange se plaçait constamment au point de vue démocratique ; elle attaquait la féodalité de la grande industrie dans tous les actes de la chambre : dans les questions politiques, au contraire, constamment conservatrice, la Phalange défendait avec acharnement les deux cent mille électeurs qui disposent de la chambre, cette même féodalité industrielle qu’il s’agissait de supprimer. S’agissait-il de défendre les intérêts des masses des ouvriers, de la petite industrie : l’état devait intervenir dans le mouvement industriel, le diriger, et toutefois la direction, l’intervention populaire, était confiée par les sages à cette haute bourgeoisie qu’ils accusaient de tyrannie. Même contradiction dans la politique extérieure : les initiés la traitaient comme si elle se réduisait à une simple administration démocratique des intérêts de tous les peuples. On proposait donc une flottille neutre, omnicolore sur toutes les mers pour veiller, à l’intérêt universel ; on voyait déjà les états-généraux de l’humanité convoqués à Constantinople, la capitale du monde, et jugeant paisiblement tous les différends de la diplomatie : on réclamait le percement de l’isthme de Panama, de l’isthme de Suez, l’initiative de la France dans toutes les affaires, du monde, l’association démocratique de l’Orient, de l’Occident, de l’Amérique. Il n’y avait à de tels vœux qu’une seule conséquence logique, c’était la guerre, mais la guerre pouvait réveiller toutes les idées de la tradition révolutionnaire, et les sages, pour l’exécution de leurs projets, s’en rapportaient au gouvernement anglais, qui serait enchanté de perdre la suprématie, des mers, aux deux cours de Berlin et de Vienne, naturellement bien disposées pour toutes les idées démocratiques ; enfin, à la diplomatie, qu’on connaît pour essentiellement désintéressée et humanitaire ! Fourier avait voulu donner à la France le protectorat d’une troisième partie du globe et marie les fils du roi par la grace du phalanstère. Impuissans à réaliser l’explosion culinaire du groupe et de la série, les initiés indiquaient un moyen nouveau pour agrandir la France et lui assurer toutes les initiatives : ils proposaient de la désarmer, de renoncer à la guerre, d’abjurer à jamais la révolution. Suivant eux, quand l’étranger aurait cessé de craindre les forces révolutionnaires de la France, la France pourrait prendre toutes les initiatives révolutionnaires du globe.

La Phalange serait tombée vingt fois, si les initiés n’avaient pas su tremper à propos dans la civilisation. On comptait parmi les fouriéristes des hommes distingués, tous liés entre eux par l’amitié la plus touchante ; ils faisait hommage à l’ombre du magicien de toutes les idées les plus étrangères au fouriérisme : on accepta ces idées comme des transitions nécessaires et proportionnées à l’ignorance de l’époque actuelle. Si la prétention était bizarre, quelques-unes des idées ainsi adoptées étaient raisonnables. L’attention générale se porta sur un projet de réseau national des chemins de fer proposé