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par M. Perreymond. Quand même le beau projet de M. Perreymond n’aurait pas été admissible en entier, quand même, à propos d’autres projets, la Phalange n’aurait fait que résumer les vœux de quelques économistes ou des conseils généraux, quand même elle se serait bornée à se tenir au niveau de l’idée démocratique, il faut reconnaître que sa polémique sur les chemins de fer était habile et vigoureuse. Après ce succès, il fut possible de marcher. On oublia l’argot harmonien ; on s’habitua à dissimuler l’immense bouffonnerie du fouriérisme ; on se garda bien de réimprimer un seul des cent cahiers inédits de Fourier. Les critiques qui rappelaient les passages compromettans du magicien furent insultés ; la Phalange n’avouait rien, ne désavouait rien. Impossible de la contraindre à réimprimer dans ses colonnes la vraie théorie de Fourier ; elle refusait impitoyablement le droit de la juger aux malheureux civilisés plongés dans l’esclavage des principes. Les idées administratives portèrent bonheur au journal, qui trouva des adhérens ; on saisit au vol les moindres paroles d’encouragement, on fit des efforts inouis pour ameuter les journaux des départemens contre l’incurie de la capitale, et, d’un autre côté, pour engager la polémique avec les grands organes de la presse parisienne et acquérir ainsi de l’autorité dans les départemens. Moitié habileté, moitié naïveté, les phalanstériens virent dans chaque évènement, dans chaque question soulevée par la presse, le progrès de leurs idées. Nos idées, disaient-ils, arrivent à la chambre des pairs. Dans la chambre des députés, MM. Jouffroy, Lamartine, A. de Gasparin, etc., se trouvaient rangés parmi les expectans du phalanstère. Il résulta tout naturellement de cette série de transactions et d’équivoques que M. Considérant arrivait en 1842 au conseil général du département de la Seine, où il fut appelé par des qualités que la civilisation avait su apprécier. Quelque temps auparavant, prié par les électeurs de s’expliquer sur la doctrine de Fourier, « ce n’est pas comme disciple de Fourier, disait-il, que je me présente aux électeurs… Je n’accepte la théorie de Fourier que sous bénéfice d’inventaire, et avec la sanction de l’expérience. » D’après lui, l’organisation du travail se réduisait « à quelque chose d’analogue à ce système d’asiles et de colonies agricoles qui ont été essayés en Hollande. » Pour le coup, c’était la débâcle du phalanstère.

Ainsi la Réforme industrielle s’était placée au point de vue radical, et la Phalange appartenait au juste-milieu. Les disciples de Fourier avaient débuté par démontrer la nullité sociale de l’Evangile, et ils s’étaient proposé dans la suite de réaliser le christianisme ; ils avaient dénoncé la philosophie, et ils étaient devenus très obligeans pour les philosophes ; ils avaient commencé par l’industrie attrayante, et l’association avait fini par les préoccuper exclusivement ; la magie avait été le point de départ du fouriérisme, et les sages en étaient venus à essayer de l’administration. Malgré tant d’efforts, la Phalange perdait chaque jour du terrain. Heureusement les fées qui habitent le règne aromal récompensèrent enfin tant de persévérance. Le magicien avait attendu pendant douze ans, à midi, un protecteur mystérieux du phalanstère un jour, trois ans après sa mort, ce protecteur se présenta, et, comme le