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maître l’avait souhaité, c’était un Anglais, M. Young. Ses offres furent brillantes : le phalanstère fut ajourné, il est vrai, et l’on ne fonda qu’une modeste fabrique ; mais la Phalange se releva, et à partir de cette époque, elle put paraître trois fois par semaine.


VI. – NOUVELLE PHASE DU FOURIERISME

En se civilisant, les phalanstériens croyaient rester fidèles à Fourier, ils lui faisaient honneur de toutes les idées de la civilisation, et ils avaient fini par croire, dans la sincérité de leur cœur, à l’immense supériorité de la Phalange sur tous les journaux. On s’imagina qu’il ne restait qu’à paraître tous les jours pour conquérir le monde. On frappa donc un coup décisif, on s’écria : la politique se meurt, la politique est morte, et, par une contradiction nouvelle, on transforma la Phalange en un journal politique quotidien. Il va sans dire que les sages devaient régénérer le premier-Paris, entraîner la presse dans les voies du fouriérisme, diriger les journaux des civilisés ; tout devait plier ou rendre les armes. On s’attendait si bien à ce miracle de la sagesse phalanstérienne, que les marques de sympathies données au nouveau journal démocratique furent consignées dans un bulletin journalier sous la rubrique : mouvement de l’opinion ; les initiés ne doutèrent pas que le monde ne fût à eux. Bientôt cependant on s’aperçut que le mouvement de l’opinion, avait cessé, les hommes étaient plus endurcis que jamais.

La Démocratie pacifique, journal des intérêts des gouvernemens et des peuples, adopta comme la Phalange le principe de l’association prise au point de vue matériel. Une série de projets sur les chemins de fer, les assurances, les caisses d’épargne, la réforme judiciaire, l’octroi, lui tint lieu d’idées. La plupart de ces projets ne sont pas nouveaux, c’est un héritage de la Phalange. On remarque, entre autres plans, la réforme de l’édilité parisienne, qui est encore une idée de M. Perreymond. A l’exemple de la Phalange, la Démocratie pacifique se montre conservatrice au point de vue politique, démocratique au point de vue administratif. Elle ne cesse pas d’attaquer la féodalité industrielle, et pourtant ne cesse pas de faire l’apologie de la politique qui la maintient. A l’extérieur, elle continue à proposer l’administration unitaire du globe, le congrès permanent de Constantinople l’initiative universelle de la France, et elle insiste avec une vigueur nouvelle sur l’association des douanes françaises, belges, allemandes, italiennes ; elle conseille la conquête de Madagascar, le système colonial de Louis XIV, une foule de merveilles politiques, économiques, sociales et morales. Toutes ces merveilles ne doivent pas coûter un coup de canon ; la Démocratie déteste la guerre, et M. Thiers est toujours signalé comme le fléau d’une politique incendiaire ; tout s’arrangera à l’amiable, sans coup férir, avec la permission de l’Angleterre, avec l’appui de l’empereur d’Autriche et du roi de Prusse. La Démocratie pacifique rend hommage dans son programme aux excellentes intentions des ministres de Vienne et de Berlin ; pourquoi donc se fâcher ?