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conformité de leurs opinions modérées et de leurs goûts littéraire aient tout-à-fait rapproché ces deux hommes célèbres. Un certain nombre des lettres écrites par Cicéron à son ami durant la dictature de César est parvenu jusqu’à nous[1]. Leur caractère à tous deux s’y révèle à merveille. Varron, obstinément retiré à la campagne vit dans la solitude avec ses livres, et, comme le sage de Lucrèce, il contemple la tempête du rivage. Cicéron, au contraire, reste dans le tumulte de Rome, tout en enviant cet abri de la retraite, ces loisirs donnés aux muses ; mais son cœur agité est retenu par les regrets de l’ambition, par l’amour inquiet de la chose publique : il hésite, il se reproche de ne pas rejoindre aussi les ombrages des villa, où il ne serait pas obligé de souper avec ses maîtres et de complimenter ses vainqueurs. « Que nos études, écrit-il, nous réunissent et nous consolent ; après avoir fait l’agrément de notre vie, elles en seront aujourd’hui le soutien. » Et toutefois, en avouant que la sagesse est du côté de Varron[2], qu’il a plus de prudence que personne[3], que lui seul a su trouver un port dans la tempête et que les jours qu’il passe à Tusculum valent autant que l’espace entier de la vie[4], Cicéron n’a pas ce courage de s’abstenir qui, au jugement de plusieurs, paraîtra peut-être un simple égoïsme de lettré. Varron, aux yeux de son illustre correspondant, était un vrai grand homme : Te semper, magnum hominem duxi. C’est la gloire qu’un pareil témoignage da une pareille bouche.

Le souvenir de cette amitié persistante honore autant Varron que Cicéron : entre lettrés, il y a presque toujours un petit élément de discorde qui se glisse à la longue, c’est l’amour-propre. On en trouve bien quelques traces dans les relations des deux Romains ; mais leur mutuel attachement n’en fut pas altéré. Les dédicaces alors étaient une aménité fort à la mode. Atticus confia un jour à Cicéron que Varron, leur ami commun, était très désireux d’une douceur de ce genre : Cicéron, qui, avec sa délicate susceptibilité littéraire, nourrissait au fond de l’ame un vœu analogue, fut à la fois charmé l’insinuation et un peu piqué de n’avoir pas été prévenu par Varron ; c’est ce qu’il laisse entrevoir dans quelques billets curieux[5] où sa

  1. Ad Fam., L. IX, 1-8.
  2. Saplentiorem quam me. (Ibid., 1.)
  3. Et me, et alios prudentia vincis. (Ibid., 2.)
  4. His tempestatibus, es prope solus in porto… Hos tuos tusculanenses dies instar esse vitae puto. (Ibid., 6.)
  5. Ad Attic.,XIII, 13, 16, 18, 25 ; édit. De M. Victor Le Clerc.