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siècles, et dont quelques spirituels écrivains du temps de la ligue ont pour toujours ravivé la gloire en France. C’était aussi un premier et timide essai de la satire en prose que Lucien porta plus tard à la perfection. Du reste, en alliant la prose au vers, Varron donnait un exemple qui, depuis, a été suivi par des génies bien différens : ce mélange, en effet, se retrouve souvent dans Shakspeare et dans Wieland ; La Fontaine en a usé pour sa Psyché, Chapelle pour son Voyage, et la généalogie des Lettres à Émilie remonte même ainsi jusqu’à l’auteur du de Re rustica ; mais Demoustier, sans aucun doute, ne s’est pas connu ce glorieux antécédent.

D’où vient ce nom de Ménippée, intéressant à plus d’un titre, puisqu’à nos yeux il désigne avant tout l’un des monumens admirés de la langue française ? d’où vient qu’Athénée appelait Varron le Ménippéen ? Aulu-Gelle va nous l’apprendre : « Varron, dit-il, a imité les écrits de Ménippe dans les satires qu’il a appelées ménippées, et que d’autres appellent cyniques. » Mais pourquoi cette dénomination a-t-elle été volontairement choisie par l’auteur latin ? Est-ce parce que le philosophe qui lui servait de modèle avait composé aussi des satires entremêlées de prose et de vers ? En se fiant à la signification actuelle du mot ménippée, qui désigne bien un pareil mélange, on serait tout d’abord disposé à le croire. Il n’en est rien cependant[1] ; Ménippe ne paraît avoir composé ni vers ni satires proprement dites. C’est donc seulement l’humeur en quelque sorte proverbiale, c’est le ton facétieux et sans vergogne du cynique qui semble avoir conduit Varron à se servir de ce nom comme d’une enseigne.

Qu’était donc ce railleur célèbre dont le seul souvenir alléchait ainsi la curiosité ? Il faut ici s’adresser à ce bon Diogène Laërce, qui enregistre exactement tous les mauvais propos et même toutes les calomnies quand il s’agit d’un philosophe. Phénicien d’origine et esclave, Ménippe[2], à force de quémander et d’épargner, avait fini par acquérir à Thèbes le droit de citoyen. Sa rapacité l’avait tiré de

  1. Un grammairien du second siècle, Probus, dans son commentaire sur la ne églogue de Virgile, a dit, il est vrai : « Varron le ménippéen, ainsi nommé, non parce qu’il aurait été l’élève de Ménippe, lequel était venu bien avant lui, mais à cause de l’analogie d’esprit et parce que ce philosophe aussi avait composé des satires dans tous les rhythmes. » (Voir le Servius de M. Lion ; Goettingue, 1826, in-8o, t. II, p. 352.) C’est une erreur que M. OEhler a bien fait ressortir ; Casaubon avait déjà décliné sur ce point l’autorité de Probus. (De Poesi satirica, édit de Rambach, p. 206.)
  2. J’ai sous les yeux une récente et curieuse monographie de M. Ley sur Ménippe : de Vita scriptisque Menippi cynici, Cologne, 1843, in-4o.