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Avec sa douceur de mœurs et son aménité de caractère, Varron était l’homme des dîners de l’amitié, des libres conversations du dessert. Une de ses satires, lepidissimus liber, dit Aulu-Gelle, était consacré à la théorie de ces repas discrets et choisis ; il y traitait de la physionomie du festin et du nombre des convives qu’il faut réunir ; ce nombre, selon lui, devait commencer au chiffre des Graces et finir au nombre des Muses. « Le festin, disait-il, doit réunir quatre conditions ; il sera parfait si les convives sont bien élevés, le lieu convenable, le temps bien choisi, et si le repas a été préparé avec soin. Que les invités ne soient ni bavards, ni muets ; que l’éloquence règne au forum et au sénat, le silence dans le cabinet. » Et plus loin il ajoute encore : « Le maître du festin peut n’être pas magnifique, il suffit qu’il soit exempt d’avarice. Tout ne doit pas être lu indifféremment dans un repas, on doit préférer les lectures qui sont à la fois utiles et agréables. » Brillat-Savarin et Berchoux n’ont jamais aussi bien dit. Varron entrait, sur ces matières, dans les plus grands détails, et Macrobe combat même la répulsion qu’il montrait pour les mets raffinés du second service. On sait aussi, par Aulu-Gelle, que, dans une satire spéciale sur les Alimens, pleine de traits ingénieux et piquans, il énumérait en vers iambiques la plupart des productions vantées que les diverses parties du monde envoyaient sur la table des gastronomes romains. Tous les mets recherchés, tous les morceaux exquis, huîtres de Tarente et dattes d’Égypte, chevreaux d’Ambracie et murènes de Tartesse, étaient curieusement énumérés. Vous voyez quels progrès les conquérans du monde avaient faits en peu d’années, et combien ils étaient loin déjà de ces pauvres gourmets du temps de Plaute, qui se contentaient de lard et de congre froid ! Au résumé, je m’imagine que Varron ne prenait le rôle d’Apicius qu’afin d’étaler sa science. Curieux de toute chose, ce ne fut là pour lui qu’une forme de l’érudition.

On devine bien que, dans ses satires, Varron ne perdait pas une occasion d’enchâsser les faits sous la plaisanterie, de glisser l’enseignement, sous le couvert du rire ; bien des sujets de mythologie, d’histoire, de grammaire même se trouvaient de la sorte éclaircis à la rencontre. Instruire en amusant, corriger en se moquant, c’était là sa secrète intention : la satire fut dans ses mains l’arme d’un sage. Jamais il n’oublie le but pratique et moral ; pas un vice, pas un ridicule ne lui échappe. En voulez-vous aux avares, voici une phrase qui servirait au besoin d’épigraphe à la Marmite de Plaute : « Quel ladre est raisonnable ? Qu’on lui livre la terre, l’univers, la même maladie de prendre l’aiguillonnera si bien qu’il se retranchera à lui-même quelque