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connaître. On n’avait pas osé admettre l’existence d’un Dieu invisible et infini sur la seule autorité de la raison naturelle, et voilà maintenant qu’on aspire à entrer en communication immédiate avec lui, comme avec les objets sensibles et les objets de la conscience. C’est une faiblesse extrême pour un être raisonnable de douter ainsi de la raison, et c’est une témérité incroyable, dans ce désespoir de l’intelligence, de rêver une communication directe avec Dieu. Ce rêve désespéré et ambitieux, c’est le mysticisme.

Le mysticisme renferme un scepticisme pusillanime à l’endroit de la raison, et en même temps une foi aveugle et portée jusqu’à l’oubli de toutes les conditions imposées à la nature humaine. C’est trop à la fois et ce n’est point assez pour le mysticisme de concevoir Dieu sous le voile transparent de l’univers et au-dessus des vérités les plus hautes. Il ne croit pas connaître Dieu s’il ne le connaît que dans ses manifestations et par les signes de son existence : il veut l’apercevoir directement ; il veut s’unir à lui, tantôt par le sentiment, tantôt par quelque autre procédé extraordinaire.

Le sentiment joue un si grand rôle dans le mysticisme, que notre premier soin doit être de rechercher la nature et la fonction propre de cette partie intéressante, et jusqu’ici mal étudiée, de la nature humaine.

Il faut bien distinguer le sentiment de la sensation. Il y a en quelque sorte deux sensibilités : l’une tournée vers le monde extérieur, et chargée de transmettre à l’ame les impressions qu’il envoie ; l’autre tout intérieure, cachée dans les profondeurs de l’organisation, et qui correspond à l’ame comme la première correspond à la nature. Sa fonction est de recevoir l’impression et comme le contre-coup de ce qui se passe dans l’ame. Avons-nous découvert des vérités sublimes ? il y a quelque chose en nous qui en éprouve de la joie. Avons-nous fait une bonne action ? nous en recueillons la récompense dans un sen-

    au même titre ; il n’y a point d’appel du tribunal des unes à celui des autres. Qui se révolte contre une seule se révolte contre toutes, et abdique toute sa nature. » Œuvres de Reid, t. III, p. 450. — « Quand on se révolte contre les faits primitifs, on méconnaît également la constitution de notre intelligence et le but de la philosophie. Expliquer un fait, est-ce autre chose que le dériver d’un autre fait, et ce genre d’explication, s’il doit s’arrêter quelque part, ne suppose-t-il pas des faits inexplicables ? La science de l’esprit humain aura été portée au plus haut degré de perfection qu’elle puisse atteindre, quand elle saura dériver l’ignorance de sa source la plus élevée. » Ibid.