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ment la même dans chacun de nous, et la même dans tous les hommes. Les lois qui président à son exercice composent la législation commune de tous les êtres intelligens. Il n’y a pas d’intelligence qui ne conçoive quelque vérité universelle et nécessaire, et conséquemment l’être infini qui en est le principe. Ces grands objets une fois connus excitent dans l’ame de tous les hommes les émotions que nous avons essayé de décrire. Ces émotions participent de la dignité de la raison et de la mobilité de l’imagination et de la sensibilité. Le sentiment est le rapport harmonieux et vivant de la raison et de la sensibilité. Supprimez l’un des deux termes, que devient le rapport ? Le mysticisme prétend élever l’homme directement à Dieu, et il ne voit pas qu’en ôtant à la raison sa puissance, il ôte à l’homme précisément ce qui lui fait connaître Dieu et le met en une juste communication avec lui, par l’intermédiaire de la vérité éternelle et infinie !

L’erreur fondamentale du mysticisme est d’écarter cet intermédiaire, comme si c’était une barrière et non pas un lien. Il fait donc de l’être infini l’objet direct de l’amour ; mais un tel amour ne se peut soutenir que par des efforts surhumains qui aboutissent à la folie. L’amour tend à s’unir à son objet ; le mysticisme l’y absorbe. De là les extravagances de ce mysticisme intempérant si sévèrement et si justement condamné par Bossuet et par l’église dans le quiétisme[1]. Le quiétisme endort l’activité de l’homme, éteint son intelligence, substitue à la recherche de la vérité et à l’accomplissement du devoir des contemplations oisives ou déréglées. La vraie union de l’ame avec Dieu se fait par la vérité et par la vertu. Toute autre union est une chimère, un péril, quelquefois un crime. Il n’est pas permis à l’homme d’abdiquer, sous aucun prétexte, ce qui le fait homme, ce qui le rend capable de comprendre Dieu et d’en exprimer en soi une imparfaite image, c’est-à-dire la raison, la volonté, la conscience. Sans doute la vertu a sa prudence, et s’il ne faut jamais céder à la passion, il est diverses ma-

    et, si on le soutient, on anéantit les distinctions morales… Que la morale soit toute dans le sentiment, rien n’est bien, rien n’est mal en soi ; le bien et le mal sont relatifs ; les qualités des actions humaines… sont précisément telles que chacun les sent. Changez le sentiment, vous changez tout ; la même action est à la fois bonne, indifférente et mauvaise, selon l’affection du spectateur. Faites taire le sentiment, les actions ne sont que des phénomènes physiques ; l’obligation se résout dans les penchans, la vertu dans le plaisir, l’honnête dans l’utile. C’est la morale d’Épicure. Dii meliora piis ! »

  1. Voyez l’admirable livre de Bossuet intitulé : Instruction sur les états d’oraison.