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milieu des lumières de la civilisation grecque et latine, a-t-il pu arriver à cette étrange notion de la Divinité ? Par l’abus du platonisme, par la corruption de la meilleure et de la plus sévère méthode, celle de Socrate et de Platon.

La méthode platonicienne, la marche dialectique, comme l’appelle son auteur, recherche dans la multitude des choses individuelles, variables, contingentes, le principe auquel elles empruntent ce qu’elles possèdent de général, de durable, d’un, c’est-à-dire leur Idée ; elle s’élève sans cesse aux idées comme aux seuls vrais objets de l’intelligence, pour s’élever encore de ces idées, qui s’ordonnent dans une admirable hiérarchie, à la première de toutes, au-delà de laquelle l’intelligence n’a plus rien à concevoir ni à chercher. C’est en écartant dans les choses finies leur limite, leur individualité, que l’on atteint les genres, les idées, et par elles leur souverain principe. Mais ce principe n’est pas le dernier des genres ni la dernière des abstractions : c’est un principe réel et substantiel[1]. Le dieu de Platon ne s’appelle pas seulement l’unité, il s’appelle le bien : il n’est pas la substance morte des Éléates[2] ; il est doué de vie et de mouvement[3], fortes expressions qui montrent à quel point le dieu de la métaphysique platonicienne diffère de celui du mysticisme. Ce dieu est le père du monde[4] ; il est le père de la vérité, cette lumière des esprits[5]. Il habite au milieu des idées, qui font de lui un dieu véritable en tant qu’il est avec elles[6]. Il possède l’auguste et sainte intelligence[7]. Il

  1. Platon n’a jamais songé à faire des Idées des êtres subsistant par eux-mêmes ; mais, comme l’ont fait depuis lui et d’après lui saint Augustin, Bossuet, Leibnitz, il les a distinguées de l’esprit humain, qui les conçoit et ne les constitue pas, car l’homme n’est pas la mesure de la vérité, et il a placé leur fondement en Dieu. C’est ce que nous avons démontré ailleurs. Mais Aristote a eu ses raisons pour accuser Platon d’avoir fait des Idées des êtres. Les péripatéticiens modernes ont répété à l’envi cette accusation, et après eux, tous ceux qui ont voulu décrier la philosophie ancienne et la philosophie en général, en prêtant l’apparence d’une absurdité à son plus illustre représentant. Nous regrettons qu’un excellent élève de l’École Normale, M. H. Martin, dans ses Études sur le Timée, ait mis au service d’une mauvaise cause une érudition consciencieuse et en général exacte.
  2. Voyez Fragmens philosophiques. Philosophie ancienne, article Xénophane et article Zénon.
  3. Voyez le Sophiste, p. 261, t. XI de notre traduction.
  4. Timée, t. XII, p. 117.
  5. République, liv. vii, p. 70 du tome X.
  6. Phèdre, p. 55, t. VI.
  7. Le Sophiste, p. 261-262. — Il faut citer ce passage peu connu et décisif que