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si aisément, c’est empêcher aussi les laides de trouver quelqu’un, qui veuille les épouser. Nos femmes se couvrent pour ne point être connues, comme font les chrétiennes. C’est une décence qui épargne bien des inconvéniens. Aussi les rois catholiques défendaient-ils, sous des peines sévères, aux chrétiens de soulever dans la rue les voiles des Moresques.

« Les surnoms anciens que nous portons font que les gens se reconnaissent, et que les familles ne se perdent pas. Que gagne-t-on à ce que les souvenirs anciens périssent ? Au contraire, à bien considérer les choses, de tels souvenirs augmentent la gloire des rois catholiques, qui ont conquis ce royaume. Ce fut leur pensée et celle de l’empereur. C’est pour cela que l’on conserve les riches palais de l’Alhambra et les autres palais plus petits qui existaient du temps des rois mores, car ils rappellent sans cesse leur puissance ; ils sont comme le trophée des conquérans…

« Arrivons à la langue arabe, qui est le plus grave des inconvéniens signalés. Comment peut-on ôter aux gens leur langue naturelle, celle dans laquelle ils naquirent et furent élevés ? Les Égyptiens, les Syriens, les Maltais, et autres races chrétiennes, parlent, lisent et écrivent en arabe ; ils sont pourtant chrétiens comme nous. Encore ne trouverait-on pas dans cette province un acte, un contrat ou un testament rédigé en arabe depuis qu’elle s’est convertie. Apprendre la langue castillane, nous le désirons tous ; mais satisfaire ce désir n’est pas au pouvoir de tout le monde. Combien y a-t-il de personnes dans les bourgs et villages, et même dans cette ville, qui ne savent pas même la langue arabe ! Et il y a tant de différence dans les dialectes, qu’au premier mot des habitans de l’Alpuxarra on reconnaît de quel district ils viennent. Ils sont nés dans de petits endroits où l’espagnol ne fut jamais parlé, où personne ne l’entend, si ce n’est le curé et le sacristain ; encore ceux-ci parlent-ils toujours arabe. Il est impossible que les vieillards l’apprennent, non pas en trois ans, mais dans tout le temps qu’ils ont encore à vivre, quand même ils ne feraient autre chose que d’aller à l’école. Il est clair que cet article est inventé pour notre destruction, car, bien qu’il n’y ait personne pour nous enseigner la langue espagnole, on exige que nous l’apprenions de force, et que nous abandonnions celle que nous savons si bien ; que veut-on par-là ? Que nos frères, désespérant d’accomplir une telle obligation, quittent le pays, par crainte des châtimens, et s’en aillent en enfans perdus chercher d’autres terres, ou qu’ils se fassent brigands (monfis). Rappelez-vous le second commandement : Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu’il vous fût fait. Et dites-nous si une seule des choses que nous impose la pragmatique était exigée des chrétiens de Castille ou d’Andalousie, dites s’ils n’en mourraient pas de douleur ? Y a-t-il dans le monde une espèce plus vile et plus basse que celle des nègres de Guinée ? Cependant on les laisse danser, on les laisse parler et chanter dans leur langue pour se donner de la joie.

« À Dieu ne plaise qu’on prenne en mauvaise part ce que je viens de dire ! car mon intention est bonne. Il y a plus de soixante ans que je sers Dieu, notre Seigneur, la couronne royale, et les habitans de ce pays. Que votre seigneurie