Page:Revue des Deux Mondes - 1845 - tome 11.djvu/501

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la population féminine du village d’Andarax, qui, traînée en plein hiver dans la sierra, y fut massacrée tout entière. Deux victimes échappèrent seules par miracle, non qu’on les eût épargnées, mais parce que le coup qui les avait frappées n’était pas mortel. Après un long évanouissement, elles reprirent leurs sens parmi les cadavres de leurs amies, de leurs parentes, et, perdues dans la montagne, dénuées de tout, même des vêtemens les plus nécessaires, car les bourreaux les avaient entièrement dépouillées, elles vécurent de neige pendant dix jours. Des soldats espagnols, égarés eux-mêmes les découvrirent par hasard et les ramenèrent au camp chrétien, où elles guérirent parfaitement.

Avec le tempérament que l’on connaît aux Espagnols, on devine qu’en fait de barbarie ils ne le cédaient pas aux Mores ; les représailles égalaient au moins les provocations. Les Espagnols qui ont écrit l’histoire de cette guerre d’extermination ont dissimulé ou du moins atténué les cruautés de leurs compatriotes, et sans doute exagéré celles des Morisques ; parfois pourtant il leur échappe des aveux significatifs : celui-ci, par exemple, mérite d’être recueilli.

Le château de Jubilez, l’un des points les plus forts de l’Alpuxarra, s’était rendu volontairement, ce qui n’avait pas empêché les Espagnols de le piller de fond en comble, et de s’approprier l’or, l’argent, les pierreries et les étoffes précieuses qu’il contenait ; on y fit prisonniers trois cents hommes et plus de deux mille femmes : les hommes furent enfermés dans les maisons du village, les femmes dans l’église ; mais cette église était petite, et une bonne moitié des captives dut passer la nuit à la belle étoile. Vers minuit, un des soldats commis à la garde de ce bivouac féminin se glissa dans l’ombre, et voulut s’emparer par la violence d’une jeune fille dont la beauté l’avait frappé ; elle résiste, il s’emporte ; la belle Moresque allait succomber ; tout à coup un jeune More, déguisé en femme, et qui était (l’histoire se tait là-dessus) son mari, son frère ou son amant, s’élance sur le ravisseur, le poignard à la main, et l’attaque avec tant d’impétuosité, qu’il lui arrache à la fois son épée et sa proie. L’Espagnol blessé est secouru par ses camarades, et tous ensemble se précipitent sur le More travesti, en criant qu’il y a des hommes armés parmi les femmes, que c’est un guet-apens, qu’il faut en tirer vengeance. Le camp s’émeut ; on accourt, on se presse, mais où aller ? La nuit est profonde ; on ne distingue rien, on ne voit que le feu des arquebuses et l’étincelle des épées choquées les unes contre les autres. La confusion est à son comble ; on frappe au hasard, et c’est sur les femmes que les coups tombent ; la fureur augmente avec le désordre ; les cris, les larmes, les gémissemens excitent le tumulte, bien loin de l’apaiser, et tel est l’acharnement des Espagnols, qu’ils se tuent les uns les autres dans les ténèbres, croyant avoir affaire à des Mores. En vain le général essaya-t-il d’arrêter le massacre ; les soldats lui gardaient rancune pour avoir déclaré, le jour même, que ces femmes, qu’ils regardaient comme leurs esclaves, étaient libres, puisque le fort s’était rendu par capitulation ; peu leur importait dès-lors qu’elles vécussent ;