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Pour compléter l’illusion, la vieille forteresse sarrazine qui domine la cité ressemble trait pour trait à la casbah de Tanger : elle est, comme elle, abandonnée, démantelée, ruinée ; mais on y découvre encore, en cherchant bien, quelques vestiges des appartemens habités jadis par les émirs. Elle pouvait, dit-on, contenir vingt mille aines ; la ville entière, y compris son faubourg, ne les contient pas aujourd’hui.

Malgré les violentes réactions catholiques des XVIe et XVIIe siècles, quelques maisons particulières ont échappé au marteau du saint-office et gardé intact le cachet more. Je m’en rappelle une entre autres, dans la rue dite de la Descente d’Almanzor (Bajada de Almanzor), que l’on prendrait pour une maison de Constantine ou de Tétuan ; le nom même de la rue ne saurait être plus musulman. Presque toutes avaient autrefois des noms analogues ; mais elles ont été pour la plupart débaptisées par les Français en 1808, qui leur ont donné pour parrains les grands hommes de l’époque ancienne et moderne. Il y a la rue Murillo, la rue Cervantès, la rue Sénèque, la rue Trajan, et ainsi des autres. Certes, on ne pouvait être plus courtois envers les peuples conquis.

La courte occupation française s’est signalée par un bienfait plus efficace : elle a chassé les morts et avec elle la mortalité du sein des églises. Le cimetière construit par les Français à l’extérieur de la ville en est assez éloigné pour être en certains temps un but de promenade. On s’y rend en tartane (traduisez patache), à travers de vastes champs de cactus-opuntia ; mais la paresse indigène se contente ordinairement de la promenade intérieure de la ville. Cette promenade est plantée des plus beaux ormeaux que j’eusse vus en Espagne. On va m’objecter sans doute que l’ormeau n’est pas précisément un arbre oriental, et qu’il s’allie mal aux souvenirs du croissant. D’accord ; aussi n’est-il ici que l’exception : il frappe comme une anomalie à côté des cactus, des lauriers roses, et surtout des palmiers, qui balancent leur tête africaine dans les cours et dans les jardins. Almérie jouit d’une grande richesse et d’une grande variété de végétation : la soude, le coton, le sparte, croissent de toutes parts dans les environs de la ville ; la canne à sucre, le café, l’indigo, l’ananas, s’y sont acclimatés sans peine. J’ai mangé au mois de juillet des chirimoyas du Pérou venues en pleine maturité dans le jardin du gouverneur, et l’on pourrait naturaliser de même sur le territoire d’Almérie tous les fruits d’Amérique les plus délicats, les plus savoureux. Je ne parle pas des mûriers, des platanes, des amandiers ; tous ces arbres et beaucoup d’autres du même genre sont communs dans tout le midi de l’Espagne. Nous ne saurions mieux terminer l’énumération de ces richesses naturelles qu’en citant le passage suivant du Voyage Scientifique de Guillaume Bowles : « Me promenant un jour, dit-il, à quelques centaines de pas de la ville, je vis que la mer avait rejeté sur la plage cinquante à soixante vers de cinq à six pouces de long sur un de large, et dont le corps était divisé en anneaux. J’en pris un, et m’aperçus qu’il secrétait abondamment dans mes mains une liqueur qui les teignait en pourpre ; je le coupai en huit morceaux, et de tous les huit sortit la même liqueur, si bien que j’en recueillis ainsi une