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obstinément les projets de réforme, les colons en viendront à solliciter d’eux-mêmes une émancipation générale et définitive, afin d’avoir au moins le dédommagement de l’indemnité. Faudra-t-il alors imposer à la métropole un sacrifice de 210 millions, ou, si les chambres s’y refusent, laissera-t-on dépérir nos établissemens coloniaux ?

En de telles circonstances, un examen sérieux nous semble dû à un nouveau mode d’émancipation que son auteur, M. Jules Lechevalier, a nommé le procédé français, pour le distinguer des précédens systèmes, empruntés presque tous à l’Angleterre. Ce projet nous attire d’autant plus, qu’il est combiné avec un plan de régénération de la Guyane, possession des plus intéressantes et pourtant bien négligée.

Le caractère distinctif de M. Jules Lechevalier est l’instinct de l’innovation, tempéré par le sentiment de l’ordre et le bon sens pratique. Les qualités positives de son esprit l’ont préservé du vertige dans le saint-simonisme et le fouriérisme qu’il a successivement traversés. De ces deux écoles, il a conservé la sympathie pour les classes laborieuses, et une tendance à résoudre tous les problèmes par l’association des intérêts, c’est-à-dire qu’il a pris le bon qui n’est pas nouveau, et laissé le nouveau qui n’est pas bon. Son mode d’émancipation est un programme purement industriel qui peut supporter la rigide analyse des administrateurs et des économistes. Il ne faut pas perdre de vue, en appréciant cette conception, qu’il s’agit d’opérer sur un sol nouveau, et dans des circonstances entièrement nouvelles. En appelant récemment la sympathie des chambres sur la Guyane, le gouvernement lui-même a reconnu que l’état désespéré de cette colonie réclamait un remède exceptionnel.

Voilà six ans bientôt que M. Jules Lechevalier propage sa théorie avec un dévouement qui est pour ainsi dire, passé dans ses instincts. Les études les plus variées, les voyages, une foule de publications dont il supporte les frais, témoignent de sa conviction profonde. Des auxiliaires éclairés et très utiles lui sont venus de la Guyane : d’abord M. Favard, délégué de la colonie, et ultérieurement MM. de Saint-Quantin et Sauvage, se sont associés à son œuvre. Par la réunion de leurs efforts, un projet dans lequel on n’avait vu d’abord qu’une ingénieuse utopie est devenu une affaire très positive, déjà encouragée par un double vote parlementaire. La majorité des colons de la Guyane en sollicite la réalisation ; le gouvernement l’étudie ; les notabilités du commerce et de la finance offrent des capitaux. La sanction des chambres sera sans doute sollicitée à la session prochaine.

La proposition de M. Jules Lechevalier ouvre un monde nouveau