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mœurs, il faut les fondre, sans disparate et sans monotonie, dans une grande et harmonieuse unité. L’œuvre entière est un tableau composé d’une foule de scènes et de figures, scènes toutes tirées de la vie vulgaire, figures d’hommes tous livrés aux rudes travaux de la mer ou des champs. L’art suprême du poète est de nous représenter ces scènes et ces figures belles de vie et de vérité, comme celles des moissonneurs et des pêcheurs de Théocrite, ou, ce que nos lecteurs comprendront mieux peut-être, belles de lumière et de force, comme celles des pêcheurs et des moissonneurs de Léopold Robert. Ç’a été là certainement l’idéal qu’il a eu le plus ordinairement devant sa palette. Voyez comme il décrit une des îles du Morbihan :

Une chaîne d’îlots ou de rochers à pic
De Saint-Malo s’étend jusqu’à l’île d’Hœdic,
Iles durant six mois s’enveloppant de brume,
De tourbillons de sable et de flocons d’écume.
Des chênes autrefois les couvrirent, dit-on ;
Chaque foyer n’a plus qu’un feu de goémon.
Parfois derrière un mur, où vivait un ermite,
Dont le vent a détruit la cellule bénite,
Derrière un mur, s’élève un figuier pâle et vieux,
Arbre cher aux enfans, seul plaisir de leurs yeux.
La tristesse est partout dans ces îles sauvages,
Mais la paix, la candeur, la foi des premiers âges
Les champs n’ont point de borne et les seuils point de clé ;
Les femmes d’un bras fort y récoltent le blé ;
De là sortent aussi sur les vaisseaux de guerre
Les marins de Bretagne, effroi de l’Angleterre.

Lorsqu’à l’île d’Hœdic aborda sans malheurs,
Avec ses étrangers, la barque des pêcheurs,
Le premier qui les vit accourut sur la côte
Disant avec douceur : « Prenez-moi pour votre hôte ! »
Un autre, survenant, ajouta : « Demain soir,
À mon feu de varech vous viendrez vous asseoir ;
Dans cet îlot pierreux qu’à grand’peine on défriche,
Pour vous garder long-temps aucun n’est assez riche ;
Mais chez chacun de nous venez loger un jour,
Et nos trente maisons s’ouvriront tour à tour.
Ainsi, connu de tous en quittant ces rivages,
Vous aurez des amis dans nos trente ménages. »
Puis, pour mieux honorer leur venue en ces lieux,
L’ancien, le chef du bourg, voulut boire avec eux ;