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et des généraux formaient une troupe de plus de cent cavaliers, ce qui nous mettait à l’abri de tout danger de surprise.

Après une heure et demie de marche, nous arrivâmes au pied d’un monticule situé à la droite de la route, et nous aperçûmes, entre des pans de murs démolis, au milieu de nombreux fragmens de ruines romaines, une trentaine de cônes blanchâtres de hauteurs diverses, disséminés sur un espace d’environ un kilomètre carré. Ces pains de sucre ont été formés à différentes époques par des fontaines jaillissantes, dont les eaux thermales déposaient incessamment autour d’elles les sels qu’elles tenaient en dissolution. Les uns, d’une origine toute récente, ne présentaient qu’une enveloppe légère de forme à peu près conique dont l’axe liquide répandait lentement sur la croûte environnante une eau chaude en ébullition continuelle. D’autres avaient déjà acquis une hauteur de un à deux mètres, mais la solidité de leur croûte ne résistait pas à la pression du pied dont on leur faisait porter facilement l’empreinte. Il y en avait de plus de sept mètres d’élévation et de quatre mètres de diamètre à la base ; ceux-là, abandonnés par l’eau depuis long-temps, ressemblaient à des roches calcaires fort dures, et leur surface, assez irrégulière d’ailleurs, était couverte de végétation. De distance en distance, on rencontrait de petits bassins dont la température variait de 60 à 70° Réaumur. Plus loin, l’eau coulait en ruisseau, et formait, en se précipitant dans la Seybouse, une cascade d’un effet fort original, en raison des couleurs singulières et variées que les sédimens avaient données à la roche. Les parties constamment baignées par les eaux étaient d’une blancheur éblouissante et quelquefois légèrement teintées de jaune. Ces eaux ont le goût de celles de Barèges et d’Aix-la-Chapelle[1] ; elles sont sulfureuses. J’ai remarqué qu’elles déposaient dans beaucoup d’endroits de la chaux presque pure, et les bulles qui s’élevaient à la surface des bassins étaient dues certainement à un grand dégagement d’acide carbonique. La cascade dont je viens de parler joint ses eaux à la Seybouse, et malheureusement au-dessus du camp, dont elle n’est pas éloignée de plus de six kilomètres. C’est ce qui explique pourquoi l’eau de la Seybouse, puisée à Medjez-el-Hammar, est insalubre. Le lit de cette rivière au pied de la cascade est d’ailleurs ombragé par d’épais bosquets d’oliviers, de lentisques et de lauriers-roses ; c’est un endroit délicieux.

  1. Sous l’administration de M. le duc d’Aumale, un établissement de bains a été fondé, en cet endroit pour les militaires malades ou blessés.