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soirée de ce jour qu’on agita la grande question de savoir si l’on emmènerait ou si on laisserait au camp le parc de siége. Heureusement on suivit, en cette occasion, l’avis du général en chef de l’artillerie, qui, ainsi que le lieutenant-général baron de Fleury, commandant le génie, lutta avec force contre la tendance assez marquée de l’état-major-général à s’affranchir des ennuis et des embarras d’un si lourd attirail de guerre. Ce grand parc de siége nous semblait à tous, je le confesse, bien superflu pour aller attaquer une bicoque.

Les divers parcs avaient été réunis au camp, mais les besoins du service de l’administration étaient tels que l’on fut contraint d’appeler d’autres services à son aide : une partie des voitures de l’artillerie fut donc employée à porter de l’orge et de la paille, et la moitié du matériel du génie laissée à Medjez-el-Hammar pour être remplacée par un chargement de l’administration. Toutefois, et par bonheur, on conserva précieusement quarante mille sacs à terre, afin de se ménager la possibilité de cheminer sur le terrain de roc et en contre-pente qui s’étendait devant le front d’attaque à Constantine. Je passai une partie de la nuit à écrire des ordres ; notre départ fut décidé pour le lendemain.

Le dimanche 18 octobre, à six heures, j’attendais au pont de la Seybouse les divers corps de notre brigade, pour les disposer en avant du front de bandière du camp des zouaves ; j’avais aussi mission de placer le parc aux bœufs, notre artillerie et nos équipages. Le prince nous donna à peine le temps de nous former, et arriva presque anssitôt. Alors l’avant-garde, composée des zouaves, du bataillon du 2e léger et des spahis, s’ébranla ; derrière marchaient deux pièces de montagne et deux obusiers de huit, ensuite les équipages, ambulances, etc., puis venaient le 17e léger et toute notre cavalerie pour arrière-garde. Nous espérions bien une petite affaire dans la journée, car on avait vu au moment de notre départ les vedettes kabyles s’éloigner en faisant feu ; mais l’ennemi ne se montra nulle part. Cette marche dans la montagne était d’un joli effet : le riche et élégant costume des spahis, les burnous blancs des Arabes auxiliaires, faisaient une très bonne figure à côté des capotes grises de nos fantassins. Aux trois quarts de la route, le gouverneur-général nous rejoignit.

Vers les quatre heures, le temps, qui avait été très beau le matin, devint détestable ; la pluie commença à tomber par torrens, et le sol des chemins fut aussitôt affreusement détrempé par l’eau du ciel et par les ruisseaux qui coulaient de la montagne. La terre était si grasse que les chevaux avaient la plus grande peine à se tenir et à marcher.