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À cinq cents pas plus loin, nos spahis traversèrent la rivière et engagèrent alors avec l’ennemi une fusillade fort vive. Le prince m’avait envoyé porter l’ordre à un escadron de chasseurs d’appuyer les spahis, et j’arrivai avec cet escadron sur le lieu du combat. C’était un spectacle des plus attrayans que cette action de cavalerie ; les détonations mêlées aux apostrophes que se renvoyaient les combattans, les fantasias des cavaliers fuyant après avoir déchargé leurs fusils, les bravades des plus hardis, cette animation, ce mouvement général, donnaient à l’ensemble de ce tableau les couleurs les plus originales et les plus pittoresques. Un lieutenant d’artillerie saxon, qui avait suivi l’expédition comme officier détaché auprès des spahis, était, je me le rappelle, au milieu de cette mêlée, tout enivré de joie et de poudre. Ces Arabes combattent avec tant d’élégance et de légèreté, ils jettent avec tant d’aisance leur burnous sur l’épaule après avoir tiré, ils impriment si adroitement un mouvement de rotation à leur cheval qui s’arrête et se cabre, lorsqu’ils veulent passer en deuxième ligne pour recharger leurs armes, qu’on ne peut se lasser d’admirer leur souplesse et leur bonne grace. Ce spectacle, tout-à-fait nouveau pour moi, me semblait des plus intéressans. La plupart de nos spahis étaient recrutés dans la tribu des Beni-Urgin, et par conséquent en état de répondre aux apostrophes injurieuses et en style homérique que leur lançaient leurs adversaires. « Regarde ce cavalier, mon capitaine, me dit un de nos spahis indigènes, vois comme il a un beau cheval !… c’est mon frère. » Ils étaient en effet de la même tribu et de la même famille, ce qui ne l’empêcha pas de terminer son observation en envoyant un bon coup de fusil à l’adresse de son pauvre frère. Il y eut plus de bruit que de mal dans cet engagement de cavalerie, qui avait lieu sous les yeux de notre avant-garde, arrêtée à une petite distance. Le feu des tirailleurs à cheval est en général mal assuré, et par conséquent peu dangereux. Nous n’eûmes de notre côté que trois hommes de blessés et un brigadier de tué. Parmi les vociférations arabes que j’ai pu entendre : Ya kelba ! ya beni et kelba[1] ! semblaient être les expressions favorites des cavaliers d’Achmet, auxquelles se joignaient d’ailleurs toutes sortes de défis et de bravades. Quelques-uns de ces hommes parlaient un mauvais espagnol ; magnana cortar la cabeça[2] revenait encore assez souvent. Pour hâter la conclusion de l’affaire et éloigner cette fourmilière du lieu où il avait l’intention de placer son camp, le

  1. Ya kelba, vocatif plusiel de kelb, chien. — Beni, pluriel de ben, fils.
  2. « Demain nous vous couperons la tête. »