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par les vapeurs du ciel, avaient pris des formes gigantesques et majestueuses ; c’était un spectacle saisissant et sublime à la fois, une de ces compositions rêvées et dessinées par Martin. Une illusion d’optique très singulière, dont j’eus d’abord quelque peine à me rendre compte, donnait à l’ensemble des objets que nous avions sous les yeux une apparence extraordinaire et merveilleuse.

Constantine est bâtie sur un rocher dont la nature a taillé le sommet en biseau, et qui présente un plateau très incliné par rapport à l’endroit où nous étions ; les maisons de la ville, de formes et de grandeurs inégales, couvrent entièrement ce plateau, de sorte que du Mansourah on ne devine pas l’inclinaison. Alors, par suite de l’élévation considérable de l’horizon visuel qui en résulte, l’observateur se croit placé à une prodigieuse hauteur au-dessus de la ville, car on sait que plus on s’élève dans les montagnes et plus l’horizon paraît s’élever. La facilité avec laquelle nous pouvions distinguer les moindres objets dans les rues et sur les terrasses de Constantine semblait si peu en rapport, d’ailleurs, avec l’éloignement apparent de la ville, qu’il y avait vraiment quelque chose de magique et de surnaturel dans cet effet de perspective.

Constantine[1], la Cyrta des Romains, s’élève sur le faîte d’une roche des plus escarpées. Les hauteurs de Sattah-Mansourah et de Sidi-Mécid, qui contournent la ville et la dominent au sud-est et au nord-est, en sont séparées par un ravin étroit d’une très grande profondeur, au fond duquel coule impétueusement le Rummel. Les pentes qui, de l’arête supérieure du Mansourah, descendent jusqu’au fond du lit du Rummel, sont d’une inclinaison fort rapide, mais les parois de rochers de Sidi-Mécid sont tellement à pic, et celles qui supportent la ville sont si verticales, qu’on est fondé à croire que la séparation n’a pas toujours existé, et que cette effrayante crevasse de 600 mètres de profondeur se sera un jour ouverte dans le sein de la montagne, déchirée par quelque commotion souterraine. Au nord-ouest, le roc de granit qui supporte Constantine s’élève au-dessus d’une vallée fort étendue que le Rummel arrose, et où il se précipite d’étage en étage en formant plusieurs cascades. C’est dans cette vallée, ornée d’une riche végétation, que le bey avait ses fermes et ses vergers.

La colline de Coudiad-Aty, fort rapprochée de Constantine dans la direction du sud-ouest, est liée à la ville par un plateau d’environ 200

  1. Ksentinet-el-Alouah, Constantine l’aérienne ; c’est le nom que lui donnent les Arabes.