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correspondent entre elles, et désignent des délégués qui se réunissent périodiquement en congrès pour délibérer sur les intérêts de leurs commettans. Le conseil exécutif de chaque union lève des contributions sur les membres qui la composent ; il promulgue des décrets qui ont force de loi, et fait appel à la publicité, soit par des assemblées, soit par des pétitions, soit même par des journaux. Les ouvriers dans chaque industrie ont donc obéi à l’impulsion de cet instinct démocratique qui tend à centraliser les forces et l’autorité. Supposez que les diverses unions parvinssent à s’entendre et à former un centre commun : alors la démocratie industrielle aurait son gouvernement, avec lequel il faudrait compter ; mais alors aussi l’Angleterre cesserait d’être l’Angleterre : cette dualité de principes que les publicistes ont cru y voir et qui n’existe pas, se produirait en effet dans l’état.

Parmi les associations d’ouvriers, la plus ancienne et la plus formidable est sans contredit l’union des ouvriers fileurs (spinner’s union). L’industrie du coton est organisée de manière à donner à cette classe d’hommes un ascendant marqué. Bien qu’ils représentent à peine le dixième des ouvriers employés dans la filature, leur concours est absolument nécessaire, et quand ils le refusent, le travail doit cesser à l’instant. Dans une manufacture qui renferme quatre cents ouvriers, les quarante fileurs, en quittant leurs métiers, condamneront les autres à l’oisiveté. Ajoutez que ces hommes, étant généralement les plus vigoureux, les mieux rétribués et les plus habiles, exercent une grande influence par leur exemple. Ce sont les serre-files du bataillon industriel ; quand ils s’ébranlent, le reste les suit bon gré, mal gré. Non-seulement les fileurs dirigent d’une manière à peu près absolue les mouvemens des ouvriers, mais les manufacturiers avec lesquels ils engagent la lutte des salaires sont les plus mal placés pour résister à des exigences de cette nature, pour peu que l’on mette d’intelligence à les faire valoir et de persévérance à les défendre. Dans les industries où le capital fixe a peu d’importance, comme dans l’art du tailleur, du charpentier ou du fabricant de bonneterie, l’ouvrier refusant de travailler, le maître peut fermer boutique et attendre des temps meilleurs, car il ne fait que renoncer à des chances de profit, et ses pertes réelles ne sont pas assez sérieuses pour lui donner de l’inquiétude ou de l’embarras ; mais un filateur, qui a mis dehors un capital énorme en constructions, en machines et en matières premières, ne peut pas suspendre ses opérations sans en éprouver un dommage considérable. Supposez que ce capital fixe représente, comme il arrive fréquemment dans la Grande-Bretagne, une somme de 2 millions de