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un instant mes pauvres zouaves ; un peu de chaleur les aura bientôt séchés, et ils n’en aborderont l’ennemi que plus gaiement. Je vous réponds qu’ils auront bientôt regagné le temps perdu. » Je n’hésitai pas, comme on pense, à engager ma responsabilité, et les choses se passèrent absolument comme le colonel des zouaves l’avait prédit. Il n’avait pas fini de parler, que le plus beau soleil du monde éclairait la nature et versait des torrens d’une chaleur vivifiante sur notre brave infanterie, qui, j’en réponds, au signal de son chef, ne se fit pas prier pour courir à l’ennemi. Ce fut un amusant spectacle que de voir nos deux bataillons s’éparpiller sur les côtes de Sidi-Mécid, s’élancer sur les Kabyles au milieu des rochers, les poursuivre à travers les cactus, et tout cela au milieu des détonations et des cris sauvages des Arabes qui fuyaient au plus vite par le pont où ils craignaient que nous ne vinssions leur barrer le passage.

On avait disposé une batterie de 4 pièces légères le plus près possible de la porte d’El-Kantara, et pendant l’action elle y jeta quelques obus. Notre but était de faire beaucoup de bruit, d’occuper l’ennemi de ce côté, et nous réussîmes en effet à lui donner de l’occupation. Nous lui tuâmes beaucoup de monde, et le poussâmes l’épée dans les reins jusqu’à la porte du pont, où nous le forçâmes à rentrer plus vite qu’il n’était sorti. Le feu de la kasbah et des créneaux de la porte couvrait la retraite des assiégés, les bombes tombaient très nombreuses sur le Mansourah ; mais nous eûmes peu d’hommes tués ou blessés par leurs éclats. Aussitôt qu’une bombe arrivait en sifflant et allait frapper le sol, les soldats qui se trouvaient à l’entour avaient ordre de se jeter à terre, et d’attendre pour se relever que l’explosion eût eu lieu. Je vis un exemple remarquable des bons effets que peut avoir cette précaution. Un bataillon du 2e léger était placé en réserve dans un petit vallon qui le défilait parfaitement des boulets de la place. Je fus envoyé pour porter je ne sais quel ordre à M. de Sérigny qui le commandait. À ce moment, une bombe de la kasbah arrive et tombe au beau milieu de cette masse compacte. On l’avait entendue : les hommes se couchent ; elle éclate… Je m’attendais à ce qu’un bon nombre d’entre eux ne se relèverait pas : chose presque incroyable, pas un soldat n’avait été atteint. Un gros fragment du projectile, passant par-dessus nos têtes, alla retomber sur la main de Müller, l’interprète du prince, qui lui parlait en ce moment. Ce brave Müller n’était pas heureux, car, trois jours après, il recevait une balle à la cheville, toujours auprès de M. le duc de Nemours qu’il ne quittait jamais.

C’était une musique des plus variées sur le Mansourah que les sifflemens