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ma conversation avec le général en chef, et je ne bougeai point ; lui-même, qui, dans ce moment de prostration générale, avait fait involontairement un mouvement presque imperceptible, se raidit encore plus en me voyant debout, jaloux, comme on pense, de ne pas être en reste avec moi. La bombe éclata sans blesser personne. Quoique le brave gouverneur ne fût certes pas à cela près, je ne tardai pas à m’apercevoir qu’il m’avait su gré du fait.

Le comte de Damrémont avait fait les guerres de 1806 et 1809 à la grande armée et en Dalmatie, celles de 1811 et 1812 en Espagne et en Portugal, et enfin les campagnes de 1813 et de 1814 à la grande armée ; il avait commandé une brigade d’infanterie dans l’expédition d’Afrique en 1830, et avait été nommé lieutenant-général le 13 décembre de la même année ; enfin le 15 septembre 1835, le roi l’avait nommé pair de France et l’avait appelé, le 12 février 1837, au gouvernement de l’Algérie. Le jour de sa mort, il ne portait pas le chapeau d’officier-général qu’il avait d’ordinaire ; il était coiffé du képi africain, et avait par-dessus son uniforme un burnous brun. Il est mort de la mort des braves, sans prononcer un mot ; il a été comme frappé de la foudre.

Le général Perregaux, chef d’état-major, en proie à la douleur la plus vive, s’était jeté sur le corps inanimé de son général ; une balle vint le frapper presque au même instant dans le haut du nez, et se logea entre ses deux sourcils ; en même temps un artilleur avait auprès de nous le bras fracassé par un obus. Après le premier moment de stupeur, on emporta le malheureux général, et nous nous éloignâmes de cette maudite route que les boulets de la batterie Bab-el-Oued continuèrent de sillonner toute la journée. Un conseil s’assembla aussitôt, et il fut décidé que M. le comte Valée prendrait le commandement de l’armée. Le lieutenant-général Trézel, à qui, suivant quelques personnes, le commandement suprême devait revenir, en raison de ce que le lieutenant-général Valée appartenait à une arme spéciale, n’éleva aucune réclamation ; aussi modeste que brave, il s’inclina devant l’âge et l’expérience de l’ancien commandant de l’artillerie de l’armée de Catalogne.

Le feu de la nouvelle batterie établie dans la place d’armes s’ouvrit à une heure ; les obus tirés des autres batteries adoucirent le talus de la brèche et ruinèrent les maisons qui étaient en arrière, afin d’empêcher l’ennemi de s’y retrancher avec sécurité. — Dans la journée, un envoyé d’Achmet s’était présenté à nos avant-postes porteur d’une lettre du bey ; il fut amené les yeux bandés au quartier-général, et