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en France. La question hongroise est une question toute gréco-slave ; elle s’agite entre deux peuples qui ont reçu des Hellènes leurs plus anciennes institutions. En général, dans cette vaste Illyrie où vivent mêlés tant de peuples orientaux, les Allemands ne se présentent nulle part à l’état de nation, si ce n’est peut-être au fond de la Transylvanie. Là les anciennes colonies saxonnes conservent au milieu des Valaques une attitude encore imposante. Aussi le cabinet autrichien les soutient de tout son pouvoir, et il saisit toutes les occasions de leur témoigner sa sollicitude. Sans refuser un juste hommage à l’énergique patriotisme des Saxons transylvaniens, nous ne pouvons assigner un rôle important à cette colonie teutonne, perdue dans le monde gréco-slave. Il n’en est pas de même des Illyriens de la Croatie. Malgré l’action maghyare qui les tient en échec, les Croates résistent avec succès à toutes les attaques de leurs rivaux. Appuyés sur la population serbe qui les entoure, ils développent leur littérature, et font des efforts de plus en plus heureux pour réduire à une seule langue écrite leurs différens dialectes provinciaux. Une société commerciale s’est formée à Agram dans le but d’ouvrir des débouchés à l’exportation des produits croates. Des travaux de canalisation sont entrepris sur les principales rivières du pays. En octobre dernier, le premier bateau à vapeur serbe et croate, portant au milieu de ces peuples divisés le nom significatif de Sloga (la Concorde), a sillonné la Save, la Draye et le Danube, et est allé montrer sa poupe, ornée d’inscriptions illyriennes, sous les murs de Belgrad, où les Serbes libres l’ont accueilli par des cris d’enthousiasme.

La Dalmatie elle-même, province tellement pénétrée de l’influence italienne qu’on pouvait la regarder comme tout-à-fait perdue pour le slavisme, s’est enfin ressouvenue de sa vraie nationalité. Son principal écrivain, le célèbre Tomasco, qui avait jusqu’à ce moment écrit tous ses ouvrages en italien, s’est mis à étudier l’idiome de ses pères, et dent de publier dans cet idiome, sous le titre d'Iskritse (les Étincelles), une brochure patriotique. Les armateurs à demi Vénitiens de l’ancienne Raguse sont de plus en plus remplacés dans Raguse même par des négocians serbes de Bosnie et d’Hertsegovine. Inondées de Morlaques, c’est-à-dire de montagnards slaves, les cités du littoral, cessent de se regarder comme vénitiennes, et on n’y rougit plus de parler illyrien. A côté des journaux, jusqu’ici tous italiens, de ces villes, se publie depuis bientôt un an une feuille slave intitulée l’Aurore de Dalmatie (Zona Dalmatinska), et dirigée par un professeur de Zara, Antoni Kuzmanitj. Cette feuille hebdomadaire est destinée