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parce qu’elle sent que celle-ci ne saurait être nuisible à son indépendance et ne deviendra jamais assez impérieuse pour paralyser l’essor du génie et des forces nationales. A peine enfantée, l’unité morale des Hellènes a déjà été mise à de rudes épreuves. Si elle n’avait pas des bases solides, eût-elle pu tenir contre les mille intrigues que l’or de l’Angleterre et l’ascendant de la Russie ont provoquées dans toutes les provinces, pour corrompre les élections du premier congrès, appelé à être une véritable assemblée constituante. Quoique remué de fond en comble par les menées européennes, le petit pays de Grèce est pourtant sorti vainqueur de ces violentes agitations où tous les vents de la diplomatie semblaient conjurés pour l’engloutir.

Il serait curieux de comparer dans leur état actuel les deux peuples les plus libres du monde gréco-slave, les Hellènes et les Hongrois. En effet, quoique si différens par leur génie et leurs mœurs, qui rendent les uns diplomates, marins, industriels, les autres guerriers, pâtres et laboureurs, il y a néanmoins entre eux parité de situation. L’état grec tend de toutes ses forces à mettre un terme à l’indigne exploitation des raïas par la Turquie ; de même l’état hongrois est engagé, on peut le dire, dans une lutte de vie ou de mort contre le monopole de domination revendiqué par l’Autriche. Récemment émancipés, les Grecs n’ont pu encore acquérir qu’une faible expérience de la vie politique ; au contraire, beaucoup plus anciens dans le maniement des affaires législatives, les Hongrois montrent à leurs diètes une telle sagesse, une telle largeur de vues, leurs orateurs planent tellement au-dessus des intérêts de parti, ils creusent si profondément toutes les questions sociales, qu’aucun autre pays de l’Europe gréco-slave ne saurait, il faut l’avouer, rivaliser sous ce rapport avec la Hongrie. Toutefois, si on considère les institutions qui le régissent actuellement, on reconnaîtra que ce pays, encore féodal, est beaucoup plus arriéré que la Grèce. Quant aux libertés administratives, la Hongrie, entravée dans ses efforts, reste en arrière non-seulement de l’Hellade, mais encore de la Serbie et des principautés moldo-valaques. Cependant, comme l’Hellade, la Hongrie exerce sur les pays qui lui sont annexés une sorte de prestige moral. Enfin, la position même de ces deux pays les appelle également à devenir le centre fédéral de plusieurs états secondaires, de plusieurs peuples parlant des langues différentes.