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la pointe occidentale, le canot plat de l’idiot, amarré au centre, et dans lequel Robinson se tenait debout comme pour observer, et enfin la chaloupe qui renfermait John Luff. Une petite maison de briques rouges, celle de Barry le père, garde-forestier, apparaissait à demi ensevelie sous les arbres, au-dessus desquels la lune dans son plein brillait de tout son éclat.

Marguerite aimait William de toute son ame, et on le verra bien plus tard ; mais il n’y avait pas de volonté plus obstinée que la sienne dans les résolutions qu’elle jugeait bonnes. La résistance de la jeune fille, que William engageait à le suivre, était donc énergique et invincible ; elle alléguait qu’il serait facile à William, devenu, comme il le prétendait, un honnête matelot, de se faire sur la terre ferme une situation au moins équivalente à celle qu’il occupait à son bord ; elle ne lui cachait pas son amour, mais elle ne voulait point céder. William crut la déterminer en lui avouant qu’il n’avait pas changé de vie, qu’il était le fameux capitaine Hudson, et qu’il fallait ou le suivre ou renoncer à lui. Cet aveu, au lieu de triompher des résistances de Marguerite, les rendit plus vives. Alors elle parla d’un jeune homme qui l’aimait, et dont les propositions pourraient être écoutées par elle, si William ne voulait pas renoncer à la contrebande. La pauvre enfant essayait, par ce moyen violent, d’attirer à elle son fiancé, et de briser ses habitudes dangereuses ; elle ne faisait qu’allumer chez lui une irritation ardente, qui augmenta lorsque le nom de Jean Barry fut prononcé. Laud avait gardé la plus profonde rancune contre son frère le garde-côte, Édouard Barry, après ce combat singulier qui l’avait laissé étendu baigné dans son sang.

On s’était donc promené sur la rive pendant une heure de cette conversation pénible et passionnée, et la lune montait dans le ciel, lorsque William, décidé par les derniers mots de l’imprudente Marguerite, porta la main à ses lèvres, et le long sifflet de manœuvre, retentissant le long de la côte, fit sortir de leur cachette deux hommes, le musculeux John Luff, qui s’avança à grands pas vers son capitaine, et le vieux maniaque de l’Orwell, qui resta debout dans son bateau ; puis, la perche à la main, longeant les derniers chênes du parc dont l’ombre le cachait, ce dernier marcha lentement, l’œil fixé sur l’endroit où Marguerite, les deux mains dans celles de son fiancé, repoussait une dernière fois ses prières.

Certes Walter Scott, Crabbe ou Godwin n’eussent pas dédaigné cette figure originale que nous n’inventons pas ; on peut lire sa biographie complète dans une feuille périodique du comté de Suffolk,