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d’amour, en parler ardemment et sans crainte, pour le plus grand honneur de Dieu et la glorification de la chasteté ! »

Hrosvita se mit au travail de grand cœur et d’une pensée si pure, que son œuvre demeura chaste et limpide, malgré les plus vives hardiesses. De la prosodie de Térence, variable et peu certaine, elle ne savait pas un mot ; elle ne voulait pas gâter, en l’amplifiant, la légende, qu’elle respectait trop pour l’altérer. Elle se contenta de diviser chaque récit en scènes dramatiques, et de prêter à ses personnages un langage latin germanisé, un dialogue vif et net, partagé en assonances irrégulières, à la mode germanique du Xe siècle, mode sentencieuse qui avait envahi les sermons latins comme les poèmes tudesques. Bientôt sept légendes, toutes en l’honneur de la vertu féminine triomphant « avec sa fragilité de la vigueur mâle (virile robur), » furent achevées ; elle les soumit humblement à quelques savans personnages, sans doute à ces Grecs-Latins qui venaient de Constantinople, appelés en Allemagne par les Othons. On doit rendre hommage à ces derniers ; malgré l’énergie peu commune de la nonne et la nouveauté d’un essai très éloigné des énervemens du style byzantin, ils comprirent le mérite de cette femme, « qui s’inclinait devant eux comme un roseau » (arundineo more inclinata), dit-elle en sa préface.

Ce dut être un mouvement inaccoutumé dans le couvent de Gandersheim, lorsque les savans hommes consultés par la religieuse eurent approuvé son travail, et qu’il fut question de jouer sa première pièce. Saint-Cyr, que M. Magnin, avec la justesse habituelle de son coup d’œil, rappelle à ce propos, n’était pas plus vivement préoccupé des chœurs d'Esther et des destinées de l’altière Vasthi. Que de choses à faire, et que de soins pour la mise en scène ! Il fallait se procurer le manteau impérial de Constantin, la cotte de mailles et la forte épée de Gallicanus, les ajustemens barbares du roi des Scythes, les flèches et les peaux de bêtes de son armée, et le costume de cour des primiciers Paul et Jean ; les jeunes nonnes avaient des frères et des pères bien placés dans le monde, et auxquels on avait recours ; ces affaires arrangées, il fallait encore distribuer les rôles ; la coquetterie revenait prendre sa place dans les divertissemens sacrés. Quelque jeune fille, la plus belle entre toutes, bien modeste, préférée de l’abbesse pour sa candeur et sa pureté, devait représenter l’héroïne, sans cesse exposée aux attaques de l’amour charnel et toujours victorieuse. On la pare, et l’on sème sa tête virginale de perles byzantines ; plus elle sera belle, plus éclatera divinement la puissance de la chasteté. Quelles religieuses