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parmi ces dames savantes du moyen-âge trois seulement qui n’ont pas laissé de traces de génie et de sensibilité comme Hrosvita, mais qui méritent une mention : — Herluca, religieuse d’Eppach ; — l’abbesse Aurea, dont on peut lire l’histoire dans la légende intéressante de l’orfèvre saint Éloi ou Éligius, — et Hedwige de Bavière. Les discours de l’abbesse prouvent une instruction théologique fort avancée ; Hedwige, mariée au duc Burckhardt II de Souabe, lisait le grec et le latin, ce qui la placerait, en fait d’érudition, au-dessus de notre nonne de Gandersheim, dont les drames ne semblent pas prouver qu’elle ait su le grec.

Ce ne sont pas là des exemples partiels et isolés, mais les corollaires de ce grand ensemble de faits que j’ai signalés plus haut. Les couvens e Charlemagne étaient restés debout ; sous les Othons, Cologne, Utrecht, Mayence, Bonn, Corvey, Trier, Paderborn, Hildesheim, Fulda, virent se former d’autres pépinières latines et grecques. Les empereurs, qui avaient la prétention d’hériter des Césars, protégeaient ce genre d’études ; le même désir avait porté Clovis à se créer une petite cour romaine, à changer ses leudes germains en sujets de l’empire, et à donner de l’autorité à l’église, qui, représentant la civilisation latine et despotique, plaisait fort à ces rois barbares long-temps, chefs de leurs égaux. Plus leur pouvoir s’accrut, plus ils s’efforcèrent d’accaparer la force dont la civilisation latine avait armé ses empereurs. Au Xe siècle, les Othons accordèrent non-seulement aux études latines, mais aux études grecques, une faveur particulière. Le frère d’Othon 1er, Bruno, archevêque de Cologne, fit venir des professeurs et des artistes de Constantinople ; Othon II épousa une Grecque et s’entoura de Grecs ; Othon III apprit dès sa première jeunesse la langue d’Homère, qu’il savait fort bien.

Cette tentative était un peu violente et exagérée, et comme elle ressortait de l’ambition politique, elle ne s’opérait pas avec l’aisance de développement et la souplesse féconde qui caractérisent la marche naturelle des civilisations. Des évêchés étaient accordés à certains guerriers plus braves que savans, plus fidèles à l’empereur que propres au service des autels ; tel était ce Meinwerc ou Meinwerk, évêque de Paderborn, contemporain de Hrosvita, en faveur duquel on me pardonnera une courte digression, qui rentre d’ailleurs dans notre sujet. Il ne faut pas s’arrêter au grotesque et à la bizarrerie de ces traits de mœurs, mais les consulter comme témoignages uniques de l’esprit des époques. Rien ne reproduit plus naïvement ce mélange de barbarie