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homme, que peut un mort auquel on chante des cantates, pour le directeur d’un théâtre qui demande à vivre ? M. Pillet s’est donc arrêté à Cologne, où se trouve en ce moment Meyerbeer, venu à la suite de la cour de Prusse, dont il doit ordonner les concerts pendant la visite de la reine Victoria à Stolzenfels. — Que se passa-t-il pendant cette entrevue ? on l’ignore ; mais raisonnablement que pouvait-il se passer ? L’éternelle question du Prophète et de l’Africaine sera revenue sur le tapis ; peut-être même aura-t-on parlé d’une traduction du Camp de Silésie ? M. Meyerbeer aura fait des conditions impossibles, M. le directeur de l’Académie royale de Musique aura demandé le temps d’y réfléchir, et l’on se sera séparé en se promettant de se revoir avant six mois dans le cabinet de la rue Lepelletier. Or, vous verrez que d’ici là le roi de Prusse interviendra pour commander à son maître de chapelle quelque divertissement qui rendra de toute nécessité la présence à Potsdam de M. Meyerbeer. Le bénéfice le plus clair que M. le directeur de l’Opéra nous semble devoir recueillir de sa pérégrination administrative aux bords du Rhin, est de s’être procuré le plaisir de voir la cathédrale de Cologne ; c’est au clair de lune un magnifique spectacle.

L’an passé, l’Opéra parcourait l’Italie à la recherche d’un ténor, aujourd’hui le voilà traversant l’Allemagne à la poursuite d’une partition. L’Académie royale de Musique produit un peu sur nous l’effet de ces malades auxquels, en désespoir de cause, leur médecin ordonne de voyager ; à ce compte, tant de malencontreux chefs-d’œuvre, de débuts avortés, représenteraient les moyens curatifs restés sans efficacité. Puisque rien ne réussit, ni les ouvrages de M. Halévy, ni ceux de M. Niedermeyer, et qu’on se lasse de Mme Stoltz ; puisqu’il n’est que trop vrai que M. Barroilhet a besoin de prendre du repos, et qu’on nous reproche de tuer à plaisir, en lui imposant un répertoire au-dessus des conditions de sa nature, la seule voix jeune et fraîche que nous possédions encore, essayons d’une ressource extrême, prenons la poste, et vite allons-nous en consulter l’oracle des bords du Rhin ; mais l’oracle ne se compromet pas, et cette fois, comme toujours, répond par formules évasives. — Sérieusement, quel intérêt peut avoir M. Meyerbeer à livrer une de ses partitions nouvelles à l’administration de l’Opéra ? Sa renommée ? dit-on ; mais la renommée de l’auteur de Robert-le-Diable et des Huguenots nous semble à un assez bon point pour qu’il lui soit permis d’en jouir à sa manière, et sans qu’on ait le droit de l’interpréter en mauvaise part. D’ailleurs, de ce qu’il ne lui convient pas d’écrire pour Mme Stoltz et Duprez, s’ensuit-il qu’il doive rester dans une inaction absolue ? Le Camp de Silésie, représenté cet hiver à Berlin avec tant de succès, prouverait le contraire. En outre, le soin même de cette renommée, dont on se montre si généreusement préoccupé, exige qu’avant de livrer chez nous cette bataille proclamée décisive, il ne néglige rien pour s’assurer au moins le plus de chances de succès. Or, nous le demandons, l’état actuel de l’Académie royale de Musique est-il fait pour tenter un maître ? Deux ou trois chanteurs isolés s’entourant de sujets recrutés de côté et d’autre, et qui ne se montrent que pour disparaître aussitôt, ne sauraient