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constituer une troupe. Comment en on est venu là ; que ce soit l’imprévoyance de l’administration ou le hasard des circonstances qui ait produit un pareil état de choses, il ne nous appartient point de le discuter ; toujours est-il qu’un musicien aussi haut placé que l’auteur des Huguenots, qu’un maître dont la critique épie les moindres mouvemens ne saurait encourir les désavantages de la situation actuelle. Il y aurait, sans aucun doute, un grand parti à prendre : oublier sa propre gloire pour ne songer qu’à venir en aide au théâtre, se dire qu’à force de volonté, de patience et de génie, on finira par rassembler tant d’élémens disjoints, et se recomposer un ensemble, coûte que coûte ; en un mot, tenter la fortune en désespéré. Par malheur, les dévouemens de ce genre ne sont plus du temps où nous vivons, et nous doutons fort que M. Meyerbeer se décide jamais à vouloir jouer le rôle d’un Curtius musical. — Ainsi la négociation a manqué, et l’on en est réduit, au retour du voyage, à redemander à son auteur une partition de David, qu’on écartait il y a huit jours. L’auteur du David en question est un jeune homme tout-à-fait inconnu, que ses amis proclament d’avance un grand maître, c’est trop juste ; aussi attendons-nous le chef-d’œuvre avec une impatience d’autant plus vive, que Mme Stoltz y doit représenter le jeune roi des Juifs, ce qui ne nous empêche nullement toutefois de regretter le silence désormais indéfini de l’illustre auteur des Huguenots ; car, soit dit en passant, prophète pour prophète, nous eussions mieux aimé celui de Meyerbeer.

On se demande ce que fait en des circonstances pareilles M. Donizetti, et comment, lorsque l’inépuisable pourvoyeur se trouve à Paris, une administration théâtrale quelconque peut conserver des inquiétudes sur son hiver. Fussiez-vous le plus abandonné des directeurs de spectacle, l’auteur des Martyrs et de la Favorite n’a-t-il point dans son écritoire de quoi vous tirer d’affaire en quelques jours ? Par malheur, entre l’Académie royale de Musique et M. Donizetti un léger nuage a passé, et la cause de ce nuage, est un certain duc d’Albe destiné à moisir dans les cartons. Déjà, au sujet de ce duc d’Albe que l’administration a jugé à propos de ne point représenter, l’auteur des paroles, M. Scribe, a touché une indemnité pécuniaire assez forte, et maintenant c’est au tour du maestro de réclamer. Quand on aura dûment satisfait à ses conditions, Orphée reprendra sa lyre. Néanmoins, et pour tuer le temps sans doute, M. Donizetti écrit un opéra bouffe qu’il destine au Théâtre-Italien. Le rôle principal est réservé à la Persiani, ainsi l’a voulu M. Vatel ; car nous ne pensons pas que M. Donizetti se fût de lui-même montré à ce point oublieux envers la cantatrice qui a si puissamment contribué au succès de son Don Pasquale. Durant les deux ou trois saisons dernières, le public dilettante a pu apprécier les incessans services rendus par la Grisi à l’administration. Toujours prête à monter sur la brèche, active, dévouée et vaillante, nous l’avons vue passer du répertoire bouffe au répertoire dramatique, et pousser plus d’une fois l’abnégation jusqu’à se charger des rôles les moins faits à son avantage : le rôle d’Imogène, par exemple, écrit trop haut pour elle, et qu’elle chantait cet hiver uniquement pour faciliter les représentations